06. mars 2020 · Commentaires fermés sur Les liaisons dangereuses : le libertinage selon Laclos · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

Le roman épistolaire de Laclos,  Les liaisons dangereuses paru en 1782, eut un très grand succès et déclencha une polémique autour du libertinage car il est bien difficile de savoir si l’auteur dépeint un couple de libertins pour en dénoncer l’orgueil et le cynisme ou s’il décrit des personnages pour lesquels il éprouve une sorte d’admiration . Composé d’une centaine de lettres échangées entre une dizaine de correspondants, les intrigues amoureuses en sont la trame principale. Les premières lettres dressent des portraits des deux principaux protagonistes ; un ancien couple, la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont dont la relation demeure ambigüe , savant mélange de tendresse et de rancune.  La Marquise souhaite que le vicomte la venge en séduisant une jeune fille Cécile de Volanges , avant le mariage de cette dernière mais il a d’autres projets : il cherche à conquérir la Présidente de Tourvel, une jeune femme dont la vertu semble inattaquable. Dans cette quatrième lettre du roman, Valmont s’apprête à annoncer à la Marquise , son projet de conquête. Voyons quel portrait du personnage de Valmont , Laclos nous offre-t-il  dans cette lettre  ?

Dans cette lettre que le vicomte adresse à la marquise, le romancier dresse le  portrait d’un séducteur sûr de lui ,  qui part conquérir une femme comme un soldat qui s’apprête à livrer une bataille et qui prêche une nouvelle forme de religion : la gloire des conquêtes amoureuses. Un commentaire littéraire pourrait adopter le plan d’étude suivant : a) un conquérant b) sa religion : la séduction c) sa vision de l’amour . La lecture linéaire se base sur les 23 premières  lignes  de cette lettre.

Il s’agit de la quatrième lettre du roman:l’occasion pour le lecteur de décourvrir le projet de conquête du Vicomte : une femme à la réputation inattaquable. Plus sa victime sera difficile à conquérir et plus il en tirera de gloire. La première ligne peint sa relation avec son ancienne maîtresse: la Marquise de Merteuil  dont il critique finement de l’autoritarisme : en effet, il mentionne ses ordres et les associe, deux fois , à un adjectif mélioratif : “charmant ; leur relation se place donc sous le signe d'une rivalité qu'on distingue sous le badinage; vous feriez chérir le despotisme L’oxymore ici manifeste la contradiction entre un régime politique souvent détesté qui se fonde sur l’imposition de la force  et le verbe chérir qui évoque une forme de tendresse et de douceur . La seconde phrase révèle, plus en détails, la nature de la relation entre les deux libertins :  cetet relation s’est dégradée car elle le traite de “monstre ” alors qu’elle lui “donnait des noms plus doux ” c’est à dire des surnoms amoureux lorsqu’ils étaient amants ; Valmont rappelle ici, à dessein, leur passé commun car l’enjeu de son pari avec Madame ed Tourvel, c’est de reconquérir, d’une certaine façon, le coeur de la Marquise, de lui prouver qu’il est le plus fort et de la soumettre à nouveau .  Pour dépeindre leur relation, il emploie également le terme esclave , qui rappelle l’idée d’être esclave de ses passions. Or, justement, le but d’un libertin est de s’affranchir des passions et notamment de la passion amoureuse en exerçant sa volonté et en se montrant plus fort que ses propres sentiments, en cherchant en permanence à les contrôler ; Le Vicomte balaie d’un mot leur ancienne liaison en rappelant , avec un peu de mépris ” de plus grands intérêts nous appellent ; ce comparatif de supériorité monter qu’il s’agit de son objectif principale, indiqué sous la forme d’une sorte de maxime “ conquérir est notre destin . Le mot destin ici doit être compris , non pas dans le sens de fatalité mais dans le sens de but fixé. Et la volonté est manifeste avec l’expression, toujours impersonnelle: il faut le suivre ” L’individu met donc toute son énergie dans la conquête et il ne la fait pas apparaître comme  un  simple projet personnel mais comme une force supérieure justement à sa volonté individuelle, une sorte de mission “divine ”   . Il glisse ensuite une série d’allusions au libertinage de la marquise , et par provocation, il emploie des termes religieux;  Néanmoins, il tient à garder la première place dans leur “concours” comme l”indique la précision ” vous me suivez au moins d’un pas égal ” ; Il reste donc le numéro un et il sait que cela risque de froisser l’orgueil de la Marquise ; La précaution oratoire ” soit dit, sans vous fâcher ” montre ici son cynisme et traduit sa volonté de blesser l’amour-propre de Madame de Merteuil.  Il ironise ensuite sur les cause de leur séparation “pour le bonheur du monde ” : ce sous-entendu évoque, par antiphrase , au contraire, tous les gens qu’ils vont rendre malheureux à cause de leur hypocrisie et de leurs mensonges. ” Nous prêchons la foi chacun de notre côté ” . Ce constat marque d’une part l’échec de leur couple : ils se sont séparés  car aucun deux ne voulait renoncer à sa liberté de conquête et on note ici , la perversion des valeurs religieuses ;

Laclos emploie, en effet, le champ lexical de l‘endoctrinement : les libertins considèrent souvent la religion comme une forme de contrainte ; leur impiété est généralement le signe d’une révolte contre l’ordre social et la religion, qui fait partie des valeurs transmises par la société. Le romancier associe donc ici des mots comme “mission d’amour ” “prosélytes ” “ardente ferveur ” “patronne ” “saint ” à des entreprise amorales de séduction . D’une certaine manière, on peut dire qu’il pervertit les valeurs religieuses.  On peut même évoquer une forme directe d’impiété avec  la référence de la ligne 9 ” et si ce Dieu -là  comme l’autre nous juge sur nos oeuvres ” ; Soit le vicomte remet en cause le jugement divin en se moquant des croyants qui pensent qu’on les juge sur leurs actions, soit il montre à quel point ils sont, tous deux , actifs dans le domaine de la séduction et mériteront d’être récompensés pour leurs faits glorieux; Notons que cette fois, il attribue la victoire à la Marquise mais la première place qu’il lui accorde demeure virtuelle comme on le voit avec l’emploi du futur ” vous serez un jour la patronne de quelque grande ville  ” Il relie ensuite ce vocabulaire religieux à son projet de séduire la Présidente : comme cette dernière est très pieuse, il doit jouer le rôle d’un homme épris de foi et de vertu afin de mieux la tromper. Pour s’entraîner à ce rôle de composition, il s’exerce donc à employer un vocabulaire religieux. Une fois de plus, il revient aux liens qui l’unissaient avec Madame de Merteuil en se prétendant ” forcé de vous désobéir ” . Il prépare , en effet, son annonce et multiplie, pour la rendre plus attractive, les adresses à sa destinataire  “ne vous fâchez pas, écoutez-moi “ Ces adresses au lecteur rendent la lettre plus convaincante et en  même temps, touchent le le véritable lecteur qui se voit ainsi apostrophé, en lieu et place du personnage fictif . On a souvent dit que la structure particulière du roman épistolaire donne au lecteur le rôle d’un voyeur ; il connaît les secrets de tous les personnages et assiste à toutes leurs confidences; Il voit ainsi, les personnages naïfs comme la Présidente ou Cécile Volanges tomber dans les pièges que leur tendent les séducteurs . Ce qui accroit , en quelque sorte, la dimension pathétique et dramatique du récit.

A la ligne 14 , le personnage apparaît comme un “conquérant” et confie ‘son plus grand projet ”   Ce superlatif montre l’importance qu’il accorde à son objectif ; Il s’agit; non pas  d’une jeune fille  “qui n’ a rien vu, ne connaît rien ” ; On retrouve ici, l’un des principaux problèmes de société, entrevu avec La Princesse de Clèves  : l’absence d’éducation des jeunes filles confrontées dès leur sortie du couvent, à la galanterie des hommes. On se souvient que dans son roman, Madame de Chartres éduque, justement  sa fille pour la prévenir des dangers de l’amour et lui dresse un tableau effrayant des passions; Un siècle plus tard : le constat est le même; Les jeunes filles sont  encore des proies faciles pour les séducteurs de tous ordres; Valmont lui, dédaigne ce qui lui semble , une proie trop facile qui lui “serait livrée sans défense ” comme il est précisé , à la ligne 16; Il décrit d’ailleurs, avec beaucoup de mépris la facilité avec laquelle on peut “perdre l’honneur d’une jeune femme;  Cela semble à la portée du premier venu comme il l'explique , ligne 17 " vingt autres peuvent y réussir comme moi “. Il tient justement à exceller et à se démarquer des autres, par orgueil. . Il décrit les étapes de la séduction en mentionnant  d’abord : “un premier hommage ne manquera pas d’enivrer ” ; Ensuite, on aiguisant sa curiosité; En effet, les jeunes femmes, à qui personne n’a jamais parlé d’amour, veulent avant tout découvrir ce qu’est une relation ; Elles agissent plus par “curiosité “ que par amour.  Valmont dédaigne donc la facilité et se fait une gloire d’atteindre un objectif beaucoup plus ambitieux.

Au passage, on notera à quel point sa vision des femmes est teintée de mépris. Son orgueil le conduit à priser la difficulté pour recueillir “ la gloire et le plaisir ” . On retrouve ici deux motivations essentielles chez les libertins : briller et prendre du plaisir ; Ce mélange d’orgueil et d’épicurisme marque,  le courant libertin et caractérise Valmont. Il qualifie sa future proie selon trois valeurs qu’il va s’empresser de défier :” sa dévotion, son amour conjugal et ses principes austères;“, ligne 19. Dans l’ordre, la jeune femme est qualifiée de pieuse : elle croit en Dieu et sa foi devrait lui servir de barrière contre l’entreprise du Vicomte; Il s’attaque donc ici à  la religion  et va chercher à tester sa foi.D’autre part, elle avoue aimer sincèrement son époux : ce qui là aussi contribue à la protéger des tentatives d’un séducteur par crainte de l’adultère; Enfin, elle obéit à des valeurs morales nobles comme la vertu, le sens du devoir, le respect de la morale; Elle paraît donc la cible idéale pour tester les compétences du Vicomte ; Il termine en citant ,tout en les déformant , des vers de La Fontaine tirés de sa préface à Monseigneur le Dauphin;Le fabuliste y dépeint son projet au futur roi : chanter les aventures des animaux et faire des peintures légères pour instruire et  divertir . Il termine son épître par ces mots “ et si de t’agréer je n’emporte le prix , j’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.” Il faut comprendre ici que Valmont craint de déplaire à la Marquise et il cherche à se prémunir contre les conséquences de sa désobéissance . Lorsqu’elle recevra sa lettre , la Marquise de Merteuil répondra en en le traitant d’insolent  car elle a bien compris qu’il n’agissait pas dans le but de lui plaire mais pour son propre plaisir et pour lui ravir un titre de gloire . D’ailleurs , elle tente de lui faire changer d’avis et dépeint la Présidente de manière très critique; On sent toutefois une pointe de jalousie chez elle et une très forte dose de cynisme . Voilà un extrait de sa réponse : “ ici c’est bien pis encore ; votre prude est dévote, et de cette dévotion de bonne femme qui condamne à une éternelle enfance. Peut-être surmonterez-vous cet obstacle, mais ne vous flattez pas de le détruire : vainqueur de l’amour de Dieu, vous ne le serez pas de la peur du diable ; et quand, tenant votre maîtresse dans vos bras, vous sentirez palpiter son cœur, ce sera de crainte et non d’amour. Peut-être, si vous eussiez connu cette femme plus tôt, en eussiez-vous pu faire quelque chose ; mais cela a vingt-deux ans, et il y en a près de deux qu’elle est mariée. Croyez-moi, vicomte, quand une femme s’est encroûtée à ce point, il faut l’abandonner à son sort ; ce ne sera jamais qu’une espèce. “

En synthèse , quelques éléments du portrait d’un libertin  pour compléter le parcours Individu, Morale et Société  et  pour vous servir à constituer des éléments de conclusion   : source : site magister

  L’étymologie de ce terme (il vient du latin libertinus qui signifie affranchi donc qui cesse d’être esclave)  est précieuse pour comprendre la relation entre l’individu et la société ; Le libertin est celui qui s’affranchit des conventions sociales et de la morale . “Grand seigneur méchant homme” aux dires du valet de Don Juan, son activité va à l’encontre des valeurs communément admises. A travers Valmont et Merteuil, le romancier entend faire le portrait de deux libertins au sens de l’époque . A vrai dire, nos deux personnages sont plutôt des “roués”, comme on disait à l’époque, c’est-à-dire deux hypocrites qui font du mensonge un signe aristocratique . Il n’a donc pas grand chose à voir avec le “petit maître” de la Régence, jeune débauché courant de conquête en conquête, ni surtout avec le libertin au sens philosophique qui prône l’impiété et se fait l’adepte d’une morale épicurienne.  Le vrai triomphe du libertin dépeint par Laclos est de s’assurer l’estime d’une société éprise de respectabilité tout en étant un parfait scélérat.

  • être protéiforme, le libertin peut endosser toutes les apparences que réclame une situation : ainsi Valmont qui,  simule la générosité et la charité pour séduire Madame de Tourvel , feint d’être “amoureux et timide” (lettre LVII) ou déguise dans ses lettres à Mme de Tourvel “le déraisonnement de l’amour”

  • comédien consommé, le libertin excelle dans la représentation, et le mensonge.

  • orgueil et mépris caractérisent également le personnage de Valmont. Il se place au-dessus du commun des hommes et célèbre la perfection de ses actions.
      Cet orgueil veut trouver ses signes manifestes : c’est d’abord l’assujettissement des faibles et le cynisme affranchi de toute valeur morale

  • la séduction est une guerre : il s’agit pour le conquérant de dissiper d’abord chez sa victime les scrupules de la raison. Cette séduction dépasse parfois la raison dans la fascination “serpentine” que Valmont exerce sur Mme de Tourvel

   
 

 

02. mars 2020 · Commentaires fermés sur Imagination et pensée dans les Fables : Le Curé et le mort · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Le parcours de lecture associé à l’étude des fables propose de réfléchir aux relations entre l’imagination et la pensée; Autrement dit : comment se servir , par exemple de l'imagination pour permettre la pensée . Grâce à l'utilisation des animaux  et de la satire, comme dans La Cour du lion ou Les animaux malades de la peste ,  le fabuliste nous plonge dans un univers imaginaire et fabrique des ressemblances humoristiques avec le monde contemporain; La fable  permet ainsi  de divertir le lecteur et de le faire réfléchir , grâce notamment à la morale ;  Avoir recours à l’imaginaire , c’est   d’ailleurs le principe utilisé par la fiction lorsque qu’elle se donne comme objectif d’apporter un regard qui éclaire le monde .Mais on peut également envisager la relation entre pensée et imagination sur un autre mode en se demandant comment l’imagination  peut-elle être parfois un obstacle à la création “d’une pensée raisonnable” ; C’est un peu ce qui est à l’oeuvre dans Perrette et le pot au lait : la jeune fermière, emportée par les délices de son imagination, perd le sens des réalités et renverse son lait . Or, c’est la vente de ce lait qui devait lui permettre d’acheter tout ce dont elle a rêvé. Le retour à la réalité est brutal dans son cas . Voyons un peu comment La Fontaine reprend ce schéma dans Le Curé et le mort qui est la fable suivante du livre VII.

Les figures de clercs apparaissent souvent dans la littérature comme cible privilégiée sur laquelle les auteurs exercent leurs moqueries parfois acerbes. Avec « Le Curé et le Mort » tiré de ses Fables, La Fontaine ne déroge pas à cette satire anticléricale .  Cet apologue découpé en deux parties, le récit et la morale, présente en effet un curé accompagnant un mort à sa dernière demeure ; la cérémonie est alors l’occasion pour le clerc de se réjouir des bonnes choses qu’il pourra se procurer avec les dons et autres salaires qu’il tirera de l’enterrement.
Aussi pouvons-nous nous intéresser à la manière dont ce décalage entre la situation macabre et les rêveries agréables du curé permet au fabuliste de montrer le rôle de l’imagination qui révèle ici les véritables pensées du curé, dissimulées derrière son apparente piété; La satire démasque ici les faux -semblants .
 

La fable  débute  en créant une atmosphère macabre attendue d’après le sujet choisi  mais quelque peu déroutante “ un mort s’en allait tristement ”  On remarque que le fabuliste donne vie au défunt en le rendant sujet d’un verbe : on imagine ainsi le cercueil se déplacer ; L ‘utilisation de l’ euphémisme « dernier gîte », peut être interprétée comme une forme de  pudeur à évoquer la mort qui témoigne  soit d’une certaine tristesse soit d’une volonté de la nier.  Toutefois le verbe s’emparer dénote dans ce cadre car on l’associe plus souvent à l’avarice et à la volonté de prédation . La Fontaine rend donc ce mort étrangement vivant et le  présente comme le  premier personnage de l’histoire. Mais  le récit lui-même , vient rompre ensuite la monotonie et la tristesse attendues. .  Ces deux premiers vers contrastent , en effet , avec l’apparition  joyeuse du prêtre  “un curé s’en allait gaiement ” Tristement et gaiement sont deux opposés: le Curé semble es réjouir pour une raison inconnue  ;  Tout ceci paraît bien mystérieux. On retrouve également  des indices qui montrent que ce curé est pressé : “au plus vite” : ces détails aiguisent la curiosité du lecteur . Qu’est-ce qui presse ce curé ? Eh bien la réponse ne va pas tarder : il se réjouit de l’argent qu’il va toucher grâce à la cérémonie d’inhumation. La fable décrit ensuite les conditions de transport du défunt, très vite comparé à une marchandise dont on va tirer profit; Il est “bien et dûment empaqueté ” et autre détail qui va devenir crucial, il voyage sur le toit d’un carrosse; On a fixé son cercueil  sur le toit  du charriot pour pouvoir le transporter au cimetière. On rapatrie son corps en quelque sorte et La Fontaine continue à en faire un personnage à part entière en décrivant sa “robe “ . Le terme bière désigne le cercueil dans lequel on dépose les défunts qu’on a auparavant revêtus d’un linceul . Ces allusions, au vers 9, à la robe “que les morts ne dépouillent guère ” peut être une référence aux robes que le curé va acheter pour les jeunes femmes dans l’espoir qu’elles les enlèvent  . On pense aux cotillons du vers 28 qui sont des “jupons de paysanne” . Le vers 10 nous donne un premier aperçu de ce qui est attendu dans ce genre de situation : le pasteur doit cheminer à côté du défunt et “récitait à l’ordinaire maintes dévotes oraisons et des psaumes et des leçons et des versets et des répons. ” L’accumulation ici alourdie par les 5 répétitions du et donne une impression d’accélération comique ; Un peu comme un dessin animé qui passerait les images en accéléré , on imagine ce prêtre en train de réciter des prières à toute vitesse; Et on se souvient qu'au début de la fable, il voulait justement "enterrer ce mort au plus vite ” La Fontaine dénonce ici l’appât du gain, du profit qui pousse le curé à bâcler son travail ; Pire, on peut penser qu’il récite mécaniquement des prières sans véritablement être concentré sur sa foi. Au vers 15, le fabuliste traduit la pensée du curé avec trois vers au style direct qui pourraient révéler justement ses pensées secrètes .  Au vers 17, le mot salaire est à double sens car d’une part, il désigne les prières comme la récompense offerte aux défunts  par les vivants: on dit des prières en leur honneur, pour eux. Mais ce mot désigne aussi l’argent que les prêtres touchent pour célébrer une cérémonie  religieuse destinée à  une famille; A l’occasion d’un décès, les parents du défunt doivent, en effet, donner de l’argent au curé afin qu’il célèbre une messe d’enterrement; A l’époque de La Fontaine, la plupart des messes étaient payantes; De nos jours encore, certaines familles font dire des messes pour certaines occasions comme l’anniversaire d’une disparition, et elles rémunèrent le prêtre .

Au vers 18 la satire pressentie devient cette fois explicite avec l’expression “couvait des yeux son mort ” ; Le Curé considère ce défunt comme sa propriété et il y tient dans la mesure où il va lui permettre de gagner de l’argent; C’est pourquoi , au vers suivant, le mort est qualifié de “trésor “; On retrouve forme de  satire fréquente dans les fables: celle de la vénalité: les gens qui ne pensent qu'à l'argent ; Le curé est ainsi assimilé à un vulgaire marchand qui prend soin de sa marchandise et craint qu'on la lui vole comme l'indique le vers 19 "lui ravir ce trésor ” . La Fontaine fait à nouveau parler le prêtre en réutilisant le discours direct. Il s’adresse cérémonieusement au mort en l’appelant, avec déférence , Monsieur , au vers 21 ,mais il le considère surtout comme une source de revenus et imagine ce qu’il va lui rapporter en argent ( le salaire versé par la famille ) et en cire ( l’argent qu’on met dans les troncs des églises pour payer les cierges qu’on achète )  Cette opposition entre le contexte de la cérémonie mortuaire et le ton joyeux sur lequel est fait le récit crée alors une distorsion à l’effet comique. Cette distorsion est repérable également entre l’air affiché par le Curé et ses véritables pensées, dévoilées par le style direct qui ,rappelons le ne correspond, dans le récit , qu’à de simples “regards” comme au vers 20.

  Le travail de l’imagination du Curé débute au vers 24 par le verbe “fondait là-dessus”  qui fait référence aux bénéfices escomptés. La désinvolture du curé accentue ainsi le comique de cette fable. La Fontaine , en effet, nous prépare à certaines allusions grivoises qui rappellent l’univers de la farce. D’une part  le nom  qui sera précisé au vers 31 « Messire Jean Chouart réfère au personnage de Rabelais qui lui aussi, critique vertement l’ Eglise pour la dépravation de ses prêtres.  ». D’autre part, les  centres d’intérêt du curé sont pour le moins étonnnants pour un religieux ; Il imagine d’abord une grande quantité de vin ; Cette précision du vers 25 montre quel sera son premier achat avec l’argent de la cérémonie; Et son second centre d’intérêt  est défini  avec  “une certaine nièce assez proprette” qui a tout l’air d’une maîtresse  qu’il entretient et sa chambrière Pâquette; Ce prénom est surtout donné à des prostituées;  Noter curé n'est donc pas un philanthrope mais plutôt un bon vivant qui aime le vin et les plaisirs de la chair.  En effet, le mot « cotillons » situe l’intérêt du curé un peu en dessous des réflexions sur la condition humaine auxquelles nous nous attendrions lorsqu'un religieux accompagne un convoi mortuaire; On s'attendait à ce qu'il réfléchisse à la vanité de la condition humaine .  Loin de faire preuve de la gravité attendue dans de telles circonstances , ce curé est plongé dans une "agréable pensée”
 
 Mais son bonheur imaginaire sera de courte durée car, en bon moraliste, La Fontaine, met fin à son existence , et par là même à ses pensées.  On peut comparer l’accident du convoi au saut de Perette , sur le chemin qui la mène au marché  ; L’action est très rapide : “Au vers 31, c’en est fini du Curé “Voilà Messire Jean Chouart qui du choc de son mort a la tête cassée ” La chute est brutale dans tous les sens du terme.   Le comique de la scène transparaît également avec ce que l’on pourrait appeler l’ironie du sort puisque la fin de la fable nous propose un renversement de situation pour le moins inattendu. Alorsque nous avions « un mort » et « un curé », qui marche « à [ses] côté[s] », bien dissociés par l’article indéfini et le point-virgule du deuxième vers,  on constate qu’ils partagent désormais le même sort « Tous deux s’en vont de compagnie » à la fin du récit. Le curé meurt et rejoint le mort dans l’au-delà. Le fabuliste montre , de manière comique, que le mort est responsable de la mort du curé : “le paroissien en plomb ”  est une périphrase comique qui désigne le défunt  et il entraîne son pasteur , dans sa chute justement.L’ironie se fait encore ressentir de façon grinçante avec l’évocation du nom « Chouart » qui rappelle  le verbe choir qui signifie tomber en ancien français ; On pense aussi, dès le début, d’ailleurs, à la chute de la laitière au Pot au lait et surtout, à la chute du curé dans la mort. Le comique de la fable permet de rendre plus acceptable la satire du clergé. La morale qui clôt le récit tient en trois vers et nous fait réfléchir aux dangers de l’imagination lorsqu’elle semble nous déborder . La dimension tragique n’est pas absente du dénouement  avec l’idée énoncée par La Fontaine, au vers 36 et 37  que notre vie ressemble à ce personnage : nous nous réjouissions, parfois à tort et dissimulons nos véritables pensées aux autres ; Peut être veut-il nous avertir qu’il n’est pas prudent de se réjouir du malheur des autres et de se lancer dans des “projets imaginaires”  ! Mieux vaut garder les yeux grand ouverts , les deux pieds sur terre et l’esprit clair !

En conclusion, La Fontaine parvient à  critiquer le clergé dans cette fable en dévalorisant le curé, en pointant son attachement aux biens et aux plaisirs terrestres, puis  il introduit la dimension morale lui en faisant payer le prix fort de son inconscience.     Si cette fable constitue un diptyque avec « Perette et le Pot au lait » car elle présente des similitudes de construction , elle évoque en plus de la précédente, une satire anticléricale très répandue dans la littérature  d’idées du XVIe siècle et qui perdure au siècle suivant . Cependant, La Fontaine se met en partie à l’abri des critiques ,en proposant une morale qui s’adresse au commun des mortels et non pas seulement aux hommes d’église. L’imagination du curé révèle sa véritable nature et démasque son hypocrisie .
          

01. mars 2020 · Commentaires fermés sur Les derniers mots de Phèdre : lecture linéaire de la dernière tirade de l’héroïne tragique · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

  Dès sa première apparition sur scène, Phèdre veut mourir pour échapper à sa passion dévorante et interdite. Oenone, sa vieille nourrice, qui a peur pour elle, décide de la faire renoncer à ses noirs projets et réussit à la convaincre de  la laisser mentir  à Thésée . Au début de l’acte IV, Oenone, en brandissant l’épée d”Hippolyte comme preuve accuse ce dernier d’avoir tenté de violer sa belle-mère:  Phèdre ne dément pas. Thésée, furieux, accable son fils et demande à Neptune de le punir. Ce dernier est banni et Phèdre, quant à elle, se sent terriblement coupable d’avoir sali la vertu d’un innocent :elle accuse Oenone et la chasse; Cette dernière se suicide en se jetant dans la mer. Hippolyte dans sa fuite mais il meurt,  est tué par un monstre marin.  le récit de sa mort est relaté par Théramène, son plus fidèle serviteur . C’est en père éploré que Thésée vient annoncer à son épouse la mort de son fils. Phèdre es décide alors à  tout lui avouer.

 En quoi la mort de Phèdre illustre-t-elle le tragique de la passion amoureuse ? L’extrait que nous étudions débute au vers 1622 et se termine au vers 1644.  “De : les moments me sont chers …à toute sa pureté” 

 Juste avant la  dernière tirade, on entend l’aveu de la culpabilité de Phèdre : On note d’abord la fermeté du ton  : – « Non » est son premier mot au vers 1617 et il marque, à la fois , une  rupture et annonce négation. L’utilisation de la forme injonctive avec « il faut » qui est répété deux fois (v.1617-1618) souligne la détermination du personnage qui exécute son devoir .Elle coupe la parole de Thésée qui est dans la lamentation : elle n’a pas le temps d’écouter Thésée et sa douleur car il lui faut agir , et donc parler vite .

L’emploi de l’impératif présent : « écoutez-moi » traduit le fait que Phèdre est consciente de l’urgence de la situation; sa mort est proche, et elle ne peut pas perdre du temps : « les moments me sont chers » reprend cette idée d’urgence . Phèdre vient rendre justice à un innocent : Le champ lexical de la justice : « injuste », « innocence », « coupable », « condamné »  illustre ce point . Avant d’expirer, Phèdre veut rétablir la vérité. On assiste à une sorte de plaidoirie et elle se désigne comme la principale coupable avec une forme emphatique : “ c’est moi qui “qui semble faire peser tout le poids de la culpabilité sur le personnage ; L’objet est séparé du verbe comme pour accentuer l’horreur de son crime “jeter un oeil profane, incestueux. L’adjectif profane rappelle ici qu’elle n’a pas respecté les liens sacrés de la famille : elle a donc offensé les Dieux et son crime s’apparente à une forme de sacrilège. Le contraste est alors maximal entre les deux personnages : l’innocent mort injustement et la coupable dont la vie paraît injuste. L’idée est peut -être de faire davantage accepter cette mort par le public en la justifiant ici de manière naturelle.Ce n’est plus seulement l’héroïne qui cherche à échapper à sa passion en se donnant la mort, c’est une femme criminelle qui mérite de mourir pour le mal qu’elle a fait.  Phèdre reprend alors l’enchainement dse faits qui ont mené à la tragique mort d’un innocent : au  vers 1625 : « le ciel mit dans mon sein » :  les deux métonymies   rappellent l’origine de sa funeste passion, cette malédiction dont elle fut ma victime . C’est une manière de rejeter en partie sa  culpabilité car elle est seulement en position d’objet : « dans mon sein ». Elle se présente,une  fois de plus , victime de cette cruauté des Dieux qui s’acharnent à punir son sang pour une faute commise par les ses ancêtres ( le Soleil, son grand-père qui  a dénoncé les amours secrètes de Mars et Vénus  ) . Ensuite, dans un second temps, le personnage dresse un véritable réquisitoire contre Oenone qu’elle qualifie, au moyen d’ un vocabulaire dépréciatif:  de «détestable», au vers 1628 et de « perfide » au vers 1630. – Elle l’accuse d’avoir “conduit ” la trahison et même d’avoir abusé de la situation car elle se trouvait dans une “faiblesse extrême ”  v 1629 .  Le dramaturge rappelle une dernière fois les circosntances qui ont mené à cet enchaînement tragique : l’aveu de l’amour de Phèdre s’est déroulé alors qu’elle croyait son époux mort et le retour de Thésée a modifié la donne ; le danger , c’est désormais que le jeune homme confie à son père, à son arrivée, les révélations de sa belle-mère; c’est pour prévenir ce danger que la nourrice a alors l’idée d’accuser Hippolyte;  Phèdre peut-elle vraiment passer pour une victime de la fidélité poussée à l’extrême d’Oenone ?  Elle apparaît en position d’objet, comme si elle subissait la volonté de la vieille femme: « abusant de ma faiblesse » tandis qu’Oenone est le sujet de tous les verbes d’action : « a conduit », « a craint », « s’est hâtée »: Phèdre donne sa version de la mort d’Oenone car Thésée voulait la faire chercher ; “elle s’en est punie” : la mort est ici un choix assumé lié sans doute au remords de la nourrice; Ensuite, elle a été chassée par Phèdre qui évoque sa colère “fuyant mon courroux”  Cette réécriture  n’est pas totalement fidèle dans la mesure où Phèdre cache , en partie, sa complicité : elle n’a rien fait pour dissuader Oenone : acte II, scène 4 : elle lui confie en effet  ” fais ce que tu voudras, je m’abandonne à toi/ dans le trouble où je suis, je ne peux rien pour moi” En gardant le silence , Phèdre a une part de responsabilité. Quant à la périphrase qui désigne la mort comme un  « supplice trop doux » , on peut entrevoir le caractère identique de la situation des deux femmes .   

La mort semble cerner le personnage qui évoque  sa première véritable tentative de suicide : lorsqu’elle a demandé à Hippolyte de lui ouvrir la poitrine et, symboliquement de lui percer le coeur; :  « Le fer aurait déjà tranché ma destinée ; Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée » Dans ces vers, Racine rompt avec la tragédie de Sénèque dans laquelle Phèdre se donne la mort avec une épée. Ce refus d’une mort prématurée s’explique par sa volonté de prendre la parole pour rétablir l’innocence d’Hippolyte te le choix du poison peut sans doute renvoyer à cet amour qui l’a littéralement empoisonné. Elle présente Hippolyte comme l’incarnation de la vertu : « la vertu soupçonnée », rétablissant ainsi l’honneur qu’elle a bafoué. On peut aussi penser qu’il s’agit d’une forme de repentir : elle ne peut réparer le mal commis mais elle s’efforce de rendre au jeune homme sa dignité. D’ailleurs elle prononce le terme remords et justifie le délai qu’elle s’accorde pour disparaitre :   elle peut prendre le temps de s’expliquer face à Thésée. Pour le spectateur, c’est aussi l’occasion de découvrir une forme de sacrifice : la précision « chemin plus lent » :  peut être interprétée de deux manières :  on peut, en effet, comprendre qu’elle a agi pour retarder sa propre mort mais cela montre également une forme de souffrance plus longue car on imagine le poison qui se diffuse, goutte à goutte, dans ses”brûlantes veines” . On retrouve également l’image de la descente aux Enfers qui peut évoquer les voyages de  Thésée .
En précisant l’origine du  poison “que Médée apporta dans Athènes »  1638 , Racine introduit une autre figure de femme meurtrière : la magicienne Médée, première femme de Thésée et sorcière qui elle  aussi, sera victime d’une passion pour son  nouvel époux, le perfide Jason, passion qui va la conduire à tuer sa rivale, le père de cette dernière avant d’immoler ses propres enfants .  Les deux figures féminines dessinent une sorte de  filiation,  qui rappelle la dimension monstrueuse de la famille de Phèdre: un demi-frère taureau qui mourra sous les coups de Thésée et une mère, Pasiphaé qui mit au monde un monstre.

 La tirade s’achève avec l’agonie du personnage qui est détaillée : elle indique avec précision l’écoulement du poison dans son corps  Sur scène , le spectateur assiste à chaque étape de sa mort : “j’ai pris, j’ai fait couler » :  la dimension pathétique est mise en oeuvre ici avec le parallélisme de construction ; L’héroïne met en scène sa mort et le dramaturge doit ici, mimer l’agonie. Ce qui explique que le discours de Phèdre se fait moins assuré et un peu plus maladroit comme le montrent les répétitions de l’adverbe « déjà » (1639-1641) :la parole semble se ressentir des effets du poison comme si elle se déréglait. Les conséquences physiques des effets du poison  sont précisées elles aussi :  elle ressent un « froid inconnu »  qui atteste de l’approche de la mort; sa vue se trouble également :  « je ne vois plus qu’à travers un nuage » . La nuit, métaphorique de la fin de la vie, tombe en même temps que le rideau qui viendra marquer la fin du spectacle  .L’ annonce de la mort apparaît encore comme un soulagement  pour le personnage : c’est la fin de  la brûlure incessante causée par la passion amoureuse. Phèdre s’éteint en chrétienne avec  la présence du champ lexical de la réparation de la faute : « outrage », « souillaient ».  La faute est rappelée dans sa double dimension : religieuse et conjugale  : « et le ciel et l’époux que ma présence outrage ». L’héroïne rappelle qu’elle a offensé les Dieux par la faute de ses ancêtres et qu’elle a offensé son époux en laissant condamner un innocent après l’avoir laissé accuser d’un crime odieux. L’imminence  de la mort se lit aussi à travers le champ lexical de l’ombre : « dérobant la clarté », je ne vois plus qu’à travers un nuage » mais cela s’oppose avec avec la lumière retrouvée, celle de la pureté : « rend au jour (…) toute sa clarté ». Ce retour de la lumière peut être interprété comme le signe que, par sa mort, Phèdre atteint la rédemption.

Si on se réfère aux règles du théâtre classique et notamment à la règle dite de bienséance, les personnages ne devaient pas offrir leur mort , à la vue du public: : « Elle expire, seigneur » :ces quelques mots peuvent laisser penser que  Phèdre meurt bien sur scène : cela accentue le pathétique mais aussi le tragique . Cette mort agit presque comme une fin moralisatrice : la passion conduit à la perte, à la destruction et à la mort. Les spectateurs doivent alors se purger de cette émotion.

 En conclusion : La fin répond au début de la pièce où Phèdre apparaissait déjà comme une mourante. Cette mort sans cesse reculée a permis de mettre en scène tout au long de la pièce la honte, la culpabilité et le tragique. Cette agonie du personnage est cependant ambiguë car jusqu’au dernier moment elle ne semble pas vraiment se remettre en question en rejetant la faute sur Vénus ou bien sur Oenone. Par ailleurs, elle ne mentionne pas la mort d’ Hippolyte et ne fait nullement référence au chagrin de son époux.  Elle ne revient que sur son malheur et choisit de quitter la  vie comme on sort de scène , par un dernier éclat .

28. février 2020 · Commentaires fermés sur Les aveux d’une passion tragique : le face à face Phèdre -Hippolyte II, 5 · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

La tragédie racinienne libère la parole amoureuse qui marque souvent une  forme de transgression : Hippolyte avoue, dès la première scène,  un amour interdit pour Aricie et cet aveu est suivi de très près par les confidences de Phèdre à sa nourrice Oenone; cette dernière recueille la parole de la reine malade, qui brûle d’une passion dévorante pour le fils de Thésée,  son mari; fils que ce dernier a conçu avec la reine  des Amazones, la fière te farouche Antiope; Le dramaturge, construit ainsi en parallèle deux parcours amoureux qui vont s’entrecroiser lorsque Phèdre fait l’aveu, malgré elle, de sa passion face à Hippolyte. Au moment où elle sort de sa chambre , elle croise celui-ci qui  s’apprête à  quitter le palais  pour partir à la recherche de son père . La tirade de Phèdre commence par une déclaration d’amour à Thésée qui , par glissements successifs, finit par révéler , une passion pour le “charmant” Hippolyte. Le jeune homme , honteux , pense tout d’abord qu’il s’est mépris et qu’il a accusé , à tort sa belle-mère d’être amoureuse de lui .  Alors qu’il souhaite se retirer , Phèdre entreprend alors de le détromper et avoue, cette fois sans détour, son amour .

Cette lecture linéaire débute au vers 671 et se termine au vers 701 de ” Ah cruel, tu m’as trop entendue..à délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.” Comment Phèdre exprime-t-elle les souffrances de sa passion  et son caractère monstrueux ?
Situation du passage : Phèdre est venue trouver Hippolyte pour plaider la cause de ses enfants qu’elle croit en danger suite à la mort supposée de Thésée. En effet, son fils est en lice dans la succession au trône, au même titre que son demi-frère Hippolyte et Aricie que ce dernier à délivrée. Bien malgré elle, confrontée à celui pour lequel elle brûle d’une passion effroyable, Phèdre lui déclare sa flamme.
Le premier  mouvement – V.670 à 682 :présente , une fois de plus , Phèdre comme la  victime d’une fatalité incontrôlable.
– On note un changement de ton brutal et de registre avec la tirade précédente. Phèdre retrouve , en partie, sa lucidité grâce à la réplique d’Hippolyte qui la ramène à la réalité. L’émotion poussée à son paroxysme, prend le dessus ainsi que le montre les points d’exclamation et l’interjection « Ah », ainsi que le terme d’adresse « Cruel » qui paraît ici peu approprié pour désigner le jeune homme qui vient justement  de présenter des excuses  .  On entend davantage la cruauté d’un amour non réciproque et la cruauté de la souffrance qu’il inflige, malgré lui , à sa belle-mère, par sa simple vue.  La ponctuation expressive marque ici  la violence verbale, voire physique.-La présence de verbes injonctifs pourrait cependant traduire une forme de colère  qui serait libérée par l’aveu mais il s’agirait plutôt d’un emportement contre la fatalité de cette passion. .  Phèdre a désormais le pouvoir, celui de la parole libératrice : « Connais », « ne pense pas » : le temps n’est plus à la réflexion. Et la parole de Phèdre s’apparente à une révélation qui montre ce qu’on ne devait pas voir, qui met à jour ce qui était dans l’ombre . –  D’ailleurs le terme ” fureur” qui peut être considéré comme  manifestation de l’Hybris, cet orgueil humain  démesuré, propre à la tragédie, est également une manière de rendre visible ce qu’on ne voyait pas  : Phèdre est à présent hors de contrôle. La fureur ne désigne pas tant la colère que l’emportement du personnage : elle semble poussée par une force incontrôlable, propre à la passion .Le contraste est particulièrement frappant avec son aveu , qui tient en 2 mots : « J’aime ». et qui, pour le coup, est d’une grande sobriété alors que le mouvement précédent annonçait une montée en puissance . Cette sorte de chute , d’adoucissement , montre que  c’est bien là l’essentiel de ce qu’elle voulait dire . Et pourtant, ce « J’aime »  ressemble à une bombe à retardement. La  précision en fin de vers « je t’aime » paraît touchante et fait résonner aux deux extrémités de l’alexandrin l’amour de Phèdre comme s’il emplissait la scène. Pourtant , très vite il apparaît que cet amour doit être combattu car il a un  caractère infamant (dégradant )  : « fol amour », « trouble ma raison », « lâche complaisance », « poison », « feu fatal ».
Phèdre se présente  donc , avant tout, comme une victime de la malédiction de Vénus, lancée contre toute sa lignée. Le terme « dieux » revient par trois fois, renforcé par la métaphore « vengeances célestes » et la métonymie «contre tout mon sang ». – Pour insister sur le caractère odieux de la machination dont elle est victime, elle se qualifie de « faible mortelle », sorte d’antithèse qui vient en contrepoint de « dieux » et qui démontre son impuissance ; le registre pathétique est déployé pour faciliter la compassion du spectateur, ressort essentiel du spectacle tragique. Il est en effet, important que le spectateur puisse, sous certains aspects, considérer l’héroïne tragique comme une victime d’une fatalité qui la dépasse. Phèdre évoque d’ailleurs la cruauté des Dieux et cette cruauté fait écho à celle manifestée par le personnage d’Hippolyte qui ne partage pas les sentiments de Phèdre. Le personnage explique donc l’origine de cette passion incontrôlable , pour mieux tenter de se justifier aux yeux du spectateur et présente  cet amour qui lui fait horreur comme le montre l’acmé de ce premier mouvement : « Je m’abhorre encore plus que tu ne me détestes » :  formule frappante où on note , à la  fois une gradation descendante et  des effets d’ hyperbole. le verbe abhorrer signifiant un rejet très fort d’elle-même : elle se juge elle même coupable et se dégoûte.
–  On retrouve également dans cette tirade l’idée que Phèdre a tenté de se prémunir contre cette passion  mais que ces précautions ont été inutiles “ inutiles soins au vers 687 ”  ce qui renforce l’ironie tragique : elle est justement confrontée avec cette arrivée à Trézène à ce qu’elle voulait “fuir ” : la tragédie est  souvnet décrite comme un piège qui se referme sur un personnage et plus il cherche à éloigner le péril, plus le filet se resserre autour de lui  . On voit donc ici qu’elle mène une lutte inutile contre elle-même. –  Alors que le présent dominait le premier mouvement, c’est le système du passé qui est dès lors employé (passé composé + imparfait). : Phèdre se remémore la façon dont elle a cherché à lutter et fuir cet amour qui s’imposait à elle.- Elle cherche ainsi à prouver qu’elle n’est pas à l’origine de ses sentiments monstrueux, qu’elle n’a pas subi passivement le feu de la passion qui s’est mis à la consumer : elle a tenté d’agir en chassant le jeune homme ; Le champ lexical de la haine montre qu’elle l’a persécuté : «fuir », «chassé », «odieuse », «inhumaine », «j’ai recherché ta haine », « tes malheurs ». Cette idée est corroborée par le verbe « résister » et  son échec est marqué par le vers 688 ” Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ”  Le dramaturge a  combiné  ici trois procédés d’écriture pour obtenir un effet maximal ; l’effet de chiasme avec ce croisement Je  et Tu , l’ antithèse avec l’opposition haïr et aimer et enfin , la litote car ” je ne t’aimais pas moins ” signifie qu’elle ne parvient pas à chasser cet amour  ;  ce vers illustre  ainsi les limites de cette lutte interne.Racine montre ensuite , de manière assez traditionnelle, les manifestations physiques de cette passion destructrice : ” J’ai langui, j’ai séché, dans les feux , dans les larmes ”  Le vers 690 illustre par le chiasme ( languir est associé à larmes et signifie être triste et le verbe sécher est associé à l’action du feu ) les douleurs de Phèdre .- Malheureuse, elle inspire la pitié et elle implore Hippolyte ; La proposition subordonnée circonstancielle  de condition « Si tes yeux un moment pouvaient me regarder » a des allures de prière.  Elle aimerait qu’il al regarde afin d’être convaincu de al sincérité de ses sentiments Cette didascalie interne laisse imaginer l’attitude du jeune prince : en effet, on peut imaginer qu’il a détourné les yeux, sous le coup de cette révélation ; La honte qu’il ressent est d’avoir pu, à son corp sdéfendant, inspirer cette passion à celle qu’il respecte comme étant l’épouse de son père .
Le vers 692 marque une nouvelle étape dans cet aveu  : Phèdre revient sur la force qu’elle subit comme une fatalité . Les questions rhétoriques des v. 693/694 réaffirment qu’elle n’agit pas cette fois, de son plein gré  mais poussée par des circonstances exceptionnelles . ” cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ? ” le ton ici n’est plus celui de la supplique . La reine rappelle, avec lucidité,  les circonstances de son aveu tragique au vers 695 et 696 ; Elle fait retour sur sa situation qui  vient d’évoluer et met en avant son rôle de mère protectrice; En effet, en apprenant la  “fausse “mort de Thésée son mari , elle craint  les luttes pour le pouvoir; elle a peur que son beau-fils cherche à éliminer d’autres héritiers potentiels les  jeunes enfants qu’elle a eux avec Thésée. Elle venait donc le prier “de ne le point haïr ” . On retrouve ainsi, un parallélisme de situation: elle le supplie , en quelque sorte, deux fois: une première fois en tant que mère et une seconde fois, en tant que femme amoureuse . Cette situation rappelle que les tragédies de Racine sont toujours sous-tendues par des drames politiques : l’amour n’y joue pas un rôle de premier plan.La ponctuation exclamative  marque à nouveau l’effervescence qui anime la jeune femme. L’interjection « Hélas » souligne la perte de toute forme d’illusion et ne laisse à Phèdre que l’espoir d’une mort libératrice.  Elle conjure Hippolyte d’abréger ses souffrances grâce à de nouveaux verbes à l’impératif qui forment un parallélisme et une antithèse : « Venge-toi » / « Punis-moi » : de victime, elle devient coupable et présente sa mort comme une solution avantageuse alors que quelques instants plus tôt, elle venait plaider pour la protection de ses enfants; On remarque la contradiction du personnage en proie à un accès de folie passionnelle ; Souvent , sous l’effet de la passion, les sentiments se mêlent et et le discours peut paraître incohérent. La cause de la mort est rappelée à travers cet “odieux amour ” qui fait justement du personnage, une femme odieuse   Sa prière fait appel aux qualités héroïques du jeune homme qui en la tuant, accède au même rang que son père et répète les exploits de ce dernier; On se souvient, en effet que Thésée est un chasseur de monstres célèbre et qu’il a accompli de nombreux exploits comme le fait de tuer le Minotaure . Hippolyte peut ainsi , symboliquement, se hisser au même rang que son père . Le dernier vers de notre extrait , le vers 701 contient cette idée  « Délivre l’univers » est une hyperbole qui accentue la monstruosité de Phèdre et permet au jeune homme de “devenir un digne fils de héros ” c’est à dire d’agir, à son tour , en héros. En se jetant sur son épée, Phèdre fait appel, à la fois à son orgueil et à son sens du devoir . Le registre amoureux trouve encore sa place dans une sorte de gradation tragique : « ne le point haïr », « un cœur trop plein de ce qu’il aime », « un odieux amour»: on assiste à une métamorphose de cet amour, qui correspond à la métamorphose monstrueuse de Phèdre elle-même : elle fait corps avec ses sentiments.  Le dernier vers résonne comme une sentence irrévocable.  Notons enfin qu’elle emploie une périphrase pour se désigner «  la veuve de Thésée » mettant en lumière les relations familiales qui unissent malheureusement les protagonistes et nomme explicitement Hippolyte. C’est l’inverse de l’aveu fait à Oenone I,3  « Ce fils de l’amazone, ce prince si longtemps par moi-même opprimé » .

 En conclusion : Phèdre, en se déclarant à Hippolyte, vient de franchir un point de non-retour. Déclenchant , à plusieurs reprises , la pitié du spectateur  elle s’inscrit dans cet aveu monstrueux comme une véritable héroïne tragique, victime de la fatalité et de l’hybris.  A la fois victime et se jugeant coupable, elle fait corps avec ses sentiments et envisage la mort comme remède à ses tourments.  La réaction d’Hippolyte ne es fait pas attendre  : un mélange de honte et de dégoût.  Phèdre cherche alors à flatter son orgueil pour qu’il devienne son bourreau mais cette dernière a pris soin de lui arracher l’épée avec laquelle elle l’enjoignait de la tuer.   Cette épée va ensuite jouer un rôle crucial dans la tragédie car elle va servir de preuve à la tentative de viol dont Oenone va accuser Hippolyte .  ‘III 3 : elle demande à Phèdre d’accuser Hippolyte la première et évoque ” son épée en vos mains heureusement laissée” . Le quatrième acte s’ouvre avec l’entrevue Thésée/ Oenone et les fausses  accusations d’Oenone : le roi reconnait l’épée de son fils entre les mains de la nourrice ” j’ai reconnu le fer, instrument de sa rage/ ce fer dont je l’armai pour un plus noble usage .” ( vers 1009/1010 ) Thésée  va alors convoquer son fils et convaincu de sa culpabilité , il lui lance  ” il fallait en fuyant ne pas abandonner le fer , qui dans ses mains aide à te condamner . ( ” IV, 2  v 1084)La tragédie est en marche, et rien ne pourra plus l’arrêter. Cette épée est devenue l’agent du destin d’Hippolyte et signe son arrêt de mort.

24. février 2020 · Commentaires fermés sur L’aveu d’une passion coupable : I, 3 Phèdre se confie à Oenone · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

 En guise d’introduction :  Le XVII eme siècle s’illustre par une profusions d’œuvres théâtrales comiques et tragiques. Racine, écrit en 1677, une tragédie  Phèdre en s’inspirant  de la mythologie et notamment de deux tragédies antiques : Hippolyte de Euripide et Phèdre de Sénèque. Il choisit de recentrer l’action tragique autour des tourments de l’héroïne Phèdre
L’auteur place au centre de l’intrigue le personnage éponyme déchiré entre  la raison et une passion qui la pousse à vouer un amour incontrôlable à son beau-fils Hippolyte.
Dans  la scène 3 de l’acte I, nous sommes encore dans l’exposition et assistons au difficile aveu de Phèdre. Cette dernière, pressée par les questions d’Oenone, sa nourrice, avoue, un peu malgré elle, sa passion coupable . La machine tragique est ainsi lancée. La tirade de l’héroïne révèle qu’elle est déjà prête à mourir.

Ce qui précède notre extrait ( en résumé )
I  Le coup de foudre / La naissance d’un amour violent causé par Vénus v.269 – 278
1. Le bonheur du mariage avec Thésée aussitôt troublé par le coup de foudre pour Hippolyte – coup de foudre qualifié péjorativement, amour = douleur : « mal » : « Mon mal vient de plus loin ». Phèdre va exposer les origines de son amour; Il faut remonter jusqu’à la malédiction dont elle est la victime- « Mon mal » s’oppose à « Mon repos, mon bonheur », deux vers plus loin. L’amour pour Hippolyte fait une irruption violente au milieu d’un amour plus calme, traditionnel et légitime car scellé par les liens du mariage. Le personnage tente de retenir la vérité : cet aveu qui lui brûle les lèvres  : la périphrase  « superbe ennemi »  monter que la passion est l’enjeu d’une lutte : l’adjectif « superbe » veut dire fier et le substantif ennemi renvoie non pas au champ lexical de l’amour mais à celui du combat. Phèdre se sent donc vaincue par cet amour qu’elle sait coupable. .Les symptômes de la passion sont alors rappelés .Depuis les philosophes Grecs, on considère la passion comme une émotion forte qui prend le contrôle de notre corps. On le voit ici par – l’énumération « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue » => rythme ternaire, allitération en « i », propositions juxtaposées => soulignent la précipitation des réactions qui succèdent immédiatement la vue de l’être aimé. – « Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue » : la raison est enrayée ; on remarque d’ailleurs que le je n’est plus sujet des phrases, il subit l’action, subit le trouble qui va jusqu’à la perte des sens : « Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler » : une fois encore,  la juxtaposition des propositions souligne la rapidité de cette invasion croissante d’un amour qui paralyse le sujet. – Le je  ne redevient sujet que pour sentir, faire l’expérience de la douleur : ce qui nous renvoie à l’étymologie du mot passion « patior » = souffrir : « Je sentis tout mon corps et transir et brûler » : la construction parallèle de termes antithétiques montre que Phèdre passe du chaud au froid sous le coup du vif sentiment qui l’anime.   « Je reconnus Vénus et ses feux redoutables » : Vénus a lancé sur la famille (« d’un sang ») une malédiction dont Phèdre est la nouvelle victime. « Feux » renvoie ici à l’amour associé au champ lexical de la brûlure pour souligner la douleur que l’amour procure. – On note les adjectifs à la rime « redoutables » « inévitables » qui mettent en place la dimension tragique. Phèdre apparaît  ainsi , dès l’exposition ,comme une héroïne tragique, qui subit pleinement un destin qui la dépasse, ici un amour terrible qui lui cause du tort et la déchire.
II. Un amour idolâtre et obsessionnel v. 279 à 290
L’héroïne pense pouvoir  adoucir Vénus en lui offrant des prières et des sacrifices — Phèdre ne se contente pas de faire des prières : « vœux assidus », elle fait construire un lieu de culte pour Vénus « Je luis bâtis un temple », qu’elle décore « et pris soin de l’orner », elle multiplie ensuite les offrandes « Des victimes moi-même à toute heure entourée  La description de al passion est alors liée à la maladie – « incurable » « remèdes » :sont  deux termes en chiasme dans le même vers désignent cet amour comme un mal qu’on ne peut soigner. Ainsi ,au moyen de ces adjectifs « incurable » et « impuissants » nous voyons que les tentatives de Phèdre sont vouées à l’échec,ce que laissait percevoir aussi le verbe « croire » dans la proposition « je crus les détourner » : c’était une illusion que de penser pouvoir infléchir Vénus. On remarque même que le culte se destine, en réalité, à Hippolyte. – «- « Quand ma bouche implorait le nom de la Déesse, / J’adorais Hippolyte » => Phèdre ne maîtrise plus sa propre parole (ce qui explique ses révélations en partie involontaires), mais ici elle se rend coupable d’impiété,; Elle prend un simple mortel  pour un dieu, comme le montre le verbe « adorer ». + « J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer ». « ce dieu » :  il s’agit ici d’une nouvelle périphrase  pour ne pas nommer  le jeune homme , objet de son culte et à cause duquel elle devient sacrilège- – La vue même joue des tours à Phèdre : « le voyant sans cesse » ; « Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père ».=>Phèdre perd peu à peu sa lucidité qui est justement l’art de la clairvoyance et  ainsi sa raison .

Notre extrait commence au vers 291
Phèdre rappelle qu’elle fut une marâtre pour son beau-fils , pensant ainsi vaincre sa passion en le tenant à distance ; « j’excitai mon courage à le persécuter » ; Il devint ainsi la victime, à son tour, de la passion de sa belle-mère . Pour l’éloigner, elle doit le bannir et feindre d’éprouver de la haine ; Ainsi, elle joue publiquement le rôle d’une méchante belle-mère «  injuste marâtre » jalouse d’un enfant qui n’est pas le sien et soucieuse de préserver les intérêts de son union avec Thésée , notamment les enfants de leur mariage.  Elle rappelle alors les souffrances endurées par le jeune homme séparé de son père ; Le verbe arracher traduit la violence de cette séparation imputable à Phèdre qui peut ainsi trouver un repos momentané  “depuis son absence<strong>; je respirais : Racine insiste sur le caractère oppressant de la passion et on retrouve les symptômes physiques qui traduisent la force du sentiment : A l’abri de l’agitation des sens , Phèdre apparaît comme une épouse modèle : “soumise ” à son époux; Néanmoins, elle tait ses tourments et trouve une forme de consolation dans les soins accordés à ses enfants:l’expression “cultivais les fruits ” semble indiquer qu’elle s’occupe de l’éducation des enfants nés de son union avec Thésée. La double exclamative traduit sa colère et sa tristesse : le registre tragique est dominant avec “vaines précautions ” qui démontre l’échec du personnage et  le second hémistiche “cruelle destinée ” ravive la compassion du spectateur. L’être aimé prend alors les traits de l’ennemi ; le champ lexical de la guerre, du combat est dominant avec le terme blessure au vers suivant associée à l’hyperbole  “trop vive ” et à la conséquence funeste : “a saigné” On retrouve cette idée d’une physiologie des transports amoureux : la souffrance se matérialise et s’expose aux yeux de tous . Ce qui était caché devient alors visible : c’est ainsi que la révélation se manifeste ; la déesse Venus devient le bourreau de Phèdre au vers 306 ; elle devient “victime” ainsi que l’indique le substantif “proie” ; cette présentation permet d'atténuer la dimension monstrueuse de la jeune femme et de renforcer la pitié que nous éprouvons pour elle et les fautes qu’elle confesse . En effet, Phèdre paraît consciente de mal agir; lorsqu’elle évoque son amour incestueux, elle le nomme “crime” et ne cherche pas à atténuer la portée de son geste ; Elle en conçoit une “juste terreur” ; L'adjectif ici, peut se comprendre au sens de légitime; Il est donc logique qu'elle soit effrayée et le châtiment paraît ainsi justifié. Elle présente alors ,une nouvelle fois, son désir de fuir la vie pour se punir ; Elle a pris sa "flamme en horreur “; A la rime avec terreur, ce mot , loin de chercher à minimiser le geste de Phèdre, en révèle toute l’atrocité et renforce, une fois de plus,  la dimension pathétique de la tirade. La mort seule permettrait de préserver la “gloire” du personnage et d’éviter le déshonneur  qui pourrait rejaillir sur sa lignée. L’euphémisme “dérober au jour une flamme si noire ” , combiné ici avec une antithèse, fait presque apparaître la mort de l’héroïne comme un effacement et rappelle qu’elle n’ose plus se montrer à la lumière ; Elle souhaite se terrer dans l’ombre;

La dernière partie de la tirade est adressée à Oenone qui a provoqué la libération de cette parole : “je n’ai pu soutenir tes larmes” Phède a avoué parce qu’elle souhaitait réconforter sa nourrice et calmer ses inquiétudes; Au lieu de cela, elle a déclenché la stupeur de celle-ci. Ses aveux n’ont donc servi à rien dans la mesure où elle semble plus que jamais déterminée à se donner la mort : elle s’adresse d’ailleurs à Oenone en lui demandant de la laisser faire ” pourvu que de ma mort respectant les approches ” : la subordonnée marque ici le but et interdit l’action à la nourrice qui devient , par le fait, spectatrice d’une mort annoncée comme inévitable. La tragédie devient le lieu de l’inaction souhaitée : “tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches ” Phèdre a souhaité parler pour éclaircir , auprès de sa nourrice, les motifs de son désir de disparaître et elle entend désormais faire cesser les reproches ; On retrouve l’adjectif “vain” qui qualifie cette fois les secours ; Racine désigne ainsi les tentatives d’Oenone pour  maintenir Phèdre en vie; cette dernière demande à ce qu’on ne l’aide plus et sa mort paraît inévitable; Le dernier alexandrin ” un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler ” rappelle le dernier souffle avant d’expirer et rend cette mort d’autant plus imminente; Plus rien ne fait désormais obstacle  à la disparition programmée du personnage .

 

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21. février 2020 · Commentaires fermés sur Phèdre : enquête sur une passion · Catégories: Sorties · Tags: ,

Ce matin, trois classes du lycée ont eu la chance d’assister, à une représentation du spectacle de la compagnie Ilôt Théâtre . Les comédiens, Laure Huselstein et Serge Irlinger  jouent d’abord le rôle de deux journalistes d’investigation qui enquêtent sur un fait divers tragique : un accident de voiture sur la D 936 qui a coûté la vie à un jeune homme d’une vingtaine d’années , Hippolyte Rivière ; Fait troublant : cette sortie de route a  eu lieu à proximité de La Ferté Milon , la ville natale d’un certain Jean Racine et surtout, l’asphalte était étrangement soulevée et les arbres brûlés à la racine . Seul un public averti peut comprendre cette référence à l’épisode du récit de Théramène dans la pièce ; Plus »

20. février 2020 · Commentaires fermés sur Le tragique de la mort de Phèdre : une passion mortelle , ingrédient de la tragédie classique ? · Catégories: Première

 Au dix-septième siècle, la tragédie classique propose aux spectateurs des histoires dont ils connaissent déjà la fin . Le mythe permet ainsi au dramaturge de puiser dans une matière préformatée qu’il peut toutefois légèrement accommoder à sa guise . Ainsi Racine , en 1677, met en lumière dans sa  version de Phèdre, le destin cruel de l’héroïne qui annonce sa mort dès son entrée en scène . De la tragédie Anouilh disait ceci, avec beaucoup d’humour : “C’est propre, la tragédie. C’est reposant, c’est sûr… (…) Dans la tragédie on est tranquille. D’abord, on est entre soi. On est tous innocents en somme ! Ce n’est pas parce qu’il y en a un qui tue et l’autre qui est tué. C’est une question de distribution. Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir”  Au milieu de la seconde guerre mondiale, il met en scène une version d’Antigone , cette jeune fille qui refuse de choisir la vie et qui s’obstine à désirer la mort; A sa manière , Phèdre, elle aussi, se tourne résolument vers une issue fatale. Voyons comment …..

A peine entrée en scène, elle veut déjà mourir pour ne plus souffrir de ce mal d’amour qui l’affaiblit : “Soleil , je te viens voir pour la dernière fois “( 41 ) ; C’est de cette manière qu’elle s’adresse à son grand-père et son attitude résignée fait le désespoir de sa nourrice Oenone : “Vous verrai-je toujours renonçant à la vie / Faire de votre mort les funestes apprêts ? ” Le registre élégiaque est dominant dans les échanges des deux femmes. La nourrice tente de lui rappeler ses devoirs ” De quel droit sur vous-même osez-vous attenter / Vous offensez les dieux auteurs de votre vie/ vous trahissez l’époux à qui la foi vous lie/ Vous trahissez enfin vos enfants malheureux. ” ; on entend ici clairement la condamnation du suicide considéré comme un péché par la religion . La mort semble la seule issue pour le personnage de Phèdre qui ne peut révéler son terrible secret : ” Je meurs, pour ne point faire un aveu si funeste” ; le spectateur aura noté que les aveux ne changeront rien : parole empêchée, ou parole libérée , Phèdre est déjà condamnée et rien ne semble pouvoir faire faiblir sa détermination : pas plus le chagrin de sa nourrice que la pensée de ses enfants ” Quand tu sauras mon crime et le sort qui m’accable/ Je n’en mourrai pas moins, j’en mourrai plus coupable ” Un alexandrin qui affiche le caractère implacable de cette mécanique tragique que rien ne peut enrayer comme le dira Anouilh en 1944″ et voilà maintenant le ressort est bandé ” . Ainsi , Phèdre annonce sa fin inéluctable  et Racine emploie même ici le présent  d’énonciation  qui rend l’action concrète : ” Je péris la dernière et la plus misérable ” annonce-telle au vers 258. Les aveux de Phèdre ne diffèrent que de quelques instants le moment où elle choisira de mourir : ” J’ai pris la vie  en haine et ma flamme en horreur  ; Au vers 308, le dramaturge établit  ainsi le lien entre son amour criminel et son désir d'en finir: l'amour est donc clairement la cause de sa mort et elle prie sa nourrice de la laisser se donner la mort . L'annonce de la mort de Thésée pourtant va faire passer le projet de Phèdre au second plan: sa situation a changé te son amour n'est plus extra-conjugal : ce qui devrait la libérer des interdits de la morale . Elle paraît même suivre avec empressement le conseil d'Oenone : " Vivons..si vers la vie on peut me ramener ” ( 364) L’acte I se clôt sur cette résolution qui est , en quelque sorte, une volte-face.  .

On ne retrouve Phèdre qu’ à la cinquième scène de l’acte II : elle fait face à son beau-fils et lui annonce , sa mort prochaine ” Mon fils n’a plus de père  et le jour n’est pas loin / qui de ma mort doit le rendre témoin” ; elle évoque ainsi  les conséquences de la mort de Thésée: leur enfant est désormais sans défense et Hippolyte pourrait vouloir s'emparer du trône de son père ou éliminer son demi-frère ; c'est à ce moment que Phèdre, emportée par ses paroles , avoue son amour à Hippolyte et aussitôt  lorsqu'elle réalise ce qu'elle vient de faire, , elle le supplie de la tuer pour mettre fin à sa honte et à son déshonneur " Voilà mon coeur, c’est là que ta main doit frapper ..frappe, délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite” . ( 701 et 704 ) L’acte II s’achève avec le départ d’Hippolyte qui vient d’apprendre que Thésée est peut -être vivant .

Le troisième acte s’ouvre sur les reproches de Phèdre qui voudrait être morte et s’en prend à Oenone : elle lui reproche d’avoir voulu la sauver et elle préfèrerait être déjà morte : ”  quand sous un joug honteux, à peine je respire / quand je me meurs ..”  (763 ) Elle a alors l’idée de proposer à Hippolyte de devenir roi à sa place afin de le retenir et de pouvoir ainsi continuer à le voir. Mais le projet de Phèdre est contrecarré par l’arrivée de Thésée : cette dernière résume l’évolution de sa situation de manière lapidaire : “ Je mourais ce matin digne d’être pleurée/ J’ai suivi tes conseils,je meurs déshonorée” ( 838 )  .Sa mort a donc changé de sens mais elle demeure imminente. Le temps dans la tragédie est extrêmement resserré . L’héroïne semble pressée d’en finir “Mourons ” dit-elle au vers 857 ” De tant d’horreurs qu’un trépas me délivre /Est-ce un malheur si grand que de cesser de vivre ? / la mort aux malheureux ne cause point d’effroi. ” ( 859 )  Considérée comme un aveu de faiblesse au début de la tragédie, la mort est ici vue comme une délivrance . Phèdre accepte le mensonge d’Oenone et laisse la vertu du jeune homme souillée . Thésée, quant à lui , est extrêmement déçu par l’accueil qui lui est réservé et il est bien résolu à savoir ce qui s’est passé durant sa longue absence. Hippolyte, innocent, pense qu’il n’a rien à redouter. Il se trompe ..

Comme les trois autres, le quatrième acte débute par une révélation qui va précipiter le dénouement ; Mais le mensonge d’Oenone aura des conséquences imprévues : la mort de Phèdre est cette fois, racontée par sa nourrice sous une forme pathétique  ” Phèdre mourait Seigneur, et sa main meurtrière / éteignait de ses yeux l’innocente lumière j’ai  vu lever le bras/ j’ai couru la sauver ( 1019 ) La servante raconte ici que sa maîtresse a tenté de se donner la mort : elle a une manière bien à elle de présenter les faits. Furieux Thésée chasse son fils et le maudit . Ce dernier proteste de son innocence; En vain ! Il quitte la scène  en insinuant que le sang de Phèdre est criminel .Alors que Phèdre s’apprête à révéler qu’elle a menti, Thésée lui apprend qu’Hippolyte est épris d’Aricie : du coup, elle se tait et souffre d’une jalousie terrible qui lui fait , à nouveau, entrevoir la mort, comme un aboutissement : “la mort est le seul dieu que j’osais implorer/ j’attendais le moment où j’allais expirer ( 1244 ) . Rendue folle sous l’effet de la jalousie, elle souhaite se réfugier dans les enfers car elle se considère comme monstrueuse   “fuyons dans la nuit infernale ” ( 1277 ) Oenone lui rappelle qu’elle n’est qu’une faible mortelle et qu’on ne peut vaincre sa destinée ” ( 1297 ) et Phèdre la chasse en la traintant de monstre .

Le dernier acte débute  par un dialogue entre Hippolyte et Aricie : il lui propose de fuir avec lui et de l’épouser; elle semble y consentir . Thésée, troublé par les paroles d’Aricie qui défend Hippolyte, continue à chercher ce qu’on lui cache et il décide d’interroger Oenone ; le conseiller du roi Panope lui rapporte ses inquiétudes pour l’état de santé de la reine : “Un mortel désespoir sur son visage est peint/ la pâleur de la mort est déjà sur son teint” ( 1463 ) Au moment même où le roi comprend qu’on lui a menti en apprenant la mort d’Oenone qui s’est jetée dans la mer, il tente d’infléchir Neptune qu’il a chargé d’exécuter sa vengeance ; Mais il est trop tard: Théramène vient nous apprendre la mort d’Hippolyte qui a succombé à ses blessures ; Un monstre furieux l’a attaqué et la pauvre Aricie s’est évanouie de douleur; Tout est prêt désormais pour la mort de Phèdre : “le fer aurait déjà tranché ma destinée “, avoue-t-elle au vers 1633. Elle a finalement décidé de s’empoisonner mais auparavant ,elle innocente Hippolyte : “déjà jusqu’à mon coeur le venin parvenu / dans ce coeur expirant jette un froid inconnu..et la mort à mes yeux dérobant la clarté/rend au jour qu’ils souillaient, toute sa pureté ” Ce sont ses derniers mots : elle se définit donc comme une femme monstrueuse , en partie à cause de son sang maudit et également parce qu’elle n’a pas su surmonter son amour criminel .

Sa mort traduit à la fois sa faiblesse face à la force de la passion et la faiblesse de l’individu confronté à un destin qui l’écrase.Il est bien difficile de démêler ce qui l’emporte ici ; le tragique se construit à partir de cette impuissance de l’homme. Les interprétations diffèrent sur la nature du personnage de Phèdre ; certains y voient une chrétienne à qui la grâce  a manqué ; d’autres une femme prisonnière de son désir et qui combat  son odieux amour parce qu’elle a un certain sens moral ;

Phèdre incarne bien l’héroine tragique qui lutte contre son atavisme et son destin . Le tragique provient également de l’aveuglement des personnages en proie à leurs passions , Littéralement, ils ne peuvent plus voir les choses et ils ne peuvent plus se voir: ce qui justifie sur le plan dramaturgique les départs et les exils. Enfin , le tragique passe par la parole : retenue, mensongère ou libérée ; Le tragique est également lié à la mort inéluctable , à sa présence sur scène tout au long de la pièce, comme une menace à peine voilée .

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

20. février 2020 · Commentaires fermés sur L’oral de français et la réforme du bac : nouvelle version 2020 · Catégories: Fiches méthode · Tags: ,
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Si vous vous préparez à passer le bac de français en révisant les textes étudiés en classe , une vingtaine environ,   et en apprenant par coeur leurs notes de cours ou des explications toutes faites, c’est un bon début. Vous serez ,certes, préparés pour  cette première partie de l’épreuve orale qui désormais prend la forme d’une lecture linéaire, c’est à dire une explication qui suit l’ordre des  lignes du texte .Cependant, vous ne devez  pas oublier que cette première partie  ne représente au final que 12 points sur 20 . En effet, la lecture linéaire qui dure 10 minutes est suivie d’une question de grammaire qui porte sur un passage du texte étudié. Elle est notée sur deux points; Cette question sera donnée aux candidats en début d’épreuve et portera sur les subordonnées, la négation ou l’interrogation. La seconde partie de l’oral est consacrée à un entretien sur une oeuvre choisie par le candidat parmi celles étudiées durant l’année (soit au programme national soit en lecture cursive )  et validée par son professeur. Le candidat devra d’abord justifier son choix en présentant un argumentaire de 2 à 3 minutes et il répondra ensuite aux questions de l’examinateur sur cette oeuvre uniquement . professeurs.  Quelques conseils…

Le jour de l’oral, l’élève viendra avec son descriptif, un document fourni et signé par son professeur , document qui récapitule tout ce qui a été étudié durant l’année. Il contient la liste officielle des textes à présenter en lecture linéaire  ainsi que les nosm dse parcours étudiés et des textes qui y sont rattachés. Le candodat apportera également les livresqui contiennet les passagse à expliquer pour la première partie.  L’examinateur va toujours vous interroger à partir de vos descriptifs et notamment de vos tableaux de séquences. C’est pourquoi il est INDISPENSABLE de bien les connaître et de répertorier, dans un premier temps, toutes les notions qui y sont notées par vos professeurs.  Pensez toujours à replacer la lecture linéaire dans le cadre du Parcours choisi :  En 2020 : Imagination et pensée pour Les Fables  et Taqawan, Individu , morale et société pour La princesse de Clèves et En attendant Bojanglès , Passion et tragédie pour Phèdre et Cendrillon , alchimie poétique pour Les Fleurs du Mal et Neige

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Autre point important à savoir  : Lorsqu’il est précisé qu’une oeuvre a été intudiée de manière intégrale , il est nécessaire de l’avoir vraiment lue en entier car l’examinateur vous demandera de la résumer et vous posera des questions sur le déroulement de l’histoire. Il ne faut pas se contenter de connaître les 3 ou 4 extrait étudiés sous la forme de lecteurs analytiques. Donc lisez vraiment les livres ..en entier, apporte les tous au bac  et apprenez à les présenter .  . 

Voici quelques questions parmi les plus fréquentes sur les objets d’étude  : Argumentation, Roman, Théâtre et Poésie

Poésie : comment définir la poésie engagée ? quelles sont les principales fonctions d’un poète ? qu’est-ce qui distingue un poète d’un romancier selon vous ? la conception de la poésie a-t-elle évolué au fil des siècles ? qu’est ce qu’un poète pour  Baudelaire ?  ? qu’est-ce que le spleen ? la poésie se limite-t-elle à la versification? à des aspects formels ? qu’est-ce qui rend un texte poétique ? quelle est l’utilité de la poésie ? qui sont les poètes d’aujourd’hui ? quelles définitions du poète préférez-vous ? qu’est-ce que la modernité en poésie ? 

Théâtre : définissez la tragédie /le tragique/ la notion de dilemme. Qu’est-ce qu’un mythe? une réécriture ou une adaptation ? quels sont les changements opérés par le drame romantique ? quelles sont les fonctions du spectacle comique ? tragique ? la catharsis ? Définissez les conditions de la représentation dans l’Antiquité (choeur/prologue/coryphée ) ; . Qu’est-ce qui caractérise le théâtre de l’Absurde ? qu’est-ce que le mélange des genres et a qui a inventé cette notion ? définissez le drame , le vaudeville, le théâtre de boulevard . Qu’estce que la modernité au théâtre ? Comment la notion de tragique évolue-t-elle ?

Roman : qu’est-ce qui selon vous caractérise un héros ? pour quelles raisons cette définition du héros évolue-t-elle au fil du temps ? quels sont les héros que vous admirez? qu’appelle-t-on le phénomène d’identification ? l’illusion de la fiction ?  Donnez des exemples de héros classiques ? romantiques ?   comment le Nouveau-Roman considère -t-il la notion de personnage de roman ? qu’est-ce qu’un anti-héros ?  .

Argumentation :  définissez le registre satirique, polémique, pathétique, laudatif, ironique, épique ..qu’est-ce qui caractérise un discours ? une argumentation directe ? indirecte ? qu’est-ce qu’un apologue ? quels types de textes argumentatifs connaissez-vous ? qu’est-ce qu’une stratégie argumentative ? convaincre te persuader : quelle différence ? plaire et instruire est-ce possible et comment ?

 Construisez des outils au service de votre réussite : pour  chaque oeuvre à lire : résumez l’intrigue . qu’est-ce qui vous a plu ? quel est le passage que vous avez préfèré et pourquoi ? que savez- vous de l’auteur ? connaissez vous une autre de ses oeuvres ? 

Quelques conseils pour rendre vos lectures linéaires moins monotones …

  • Choisissez des accroches historiques et ou des citations en introduction
  • Variez vos modèles de phrases
  • Bannissez les verbes de parole ; elle dit, elle parle de ,
  • Pensez à nommer les procédés d’écriture et à en analyser les effets
  • Commencez vos phrases par les observations : ex …l’antithèse du vers xx nous montre que le personnage est ….
  • Les personnages dont vous parlez n’existent pas !
  • Variez vos connecteurs logiques : donc, maintenant, ensuite, alors que , c’est pourquoi, tout de même , cependant .

..Et surtout entraînez -vous régulièrement et chronométrez-vous .. ne cherchez pas à tout dire mais à bien décrire ce que vous lisez..

En résumé …….

Partie 1 : lecture linéaire + question de grammaire

L’examinateur t’indiquera le texte et le passage du texte retenu (à partir du descriptif des activités) ET la question de grammaire posée, qui ne peut concerner qu’un passage de l’extrait de texte choisi pour l’exposé. Une fois ton temps de préparation de 30 minute écoulé, ton oral se déroulera en 3 temps :

  • Lecture à voix haute du texte après l’avoir brièvement situé dans l’œuvre et le parcours associé (partie notée sur 2 points) 
  • Explication linéaire d’un passage d’une vingtaine de ligne (partie notée sur 8 points) 
  • Réponse à la question de grammaire au moment du tirage, portant uniquement sur le texte (partie notée sur 2 points

– – – – Epreuve notée sur 12

Partie 2 : entretien autour d’une oeuvre choisie

Dans cette deuxième partie, c’est toi qui as choisi l’oeuvre qui fera l’objet de l’entretien, sur la base de celles étudiées en classe ou proposées dans le cadre des lectures cursives obligatoires. Cet entretien se déroulera en deux temps successifs :

  • Brève présentation de l’œuvre retenue et les raisons de ton choix. ce sera le point de départ pour les interactions 
  • Échanges avec l’examinateur : tu seras évalué sur ta capacité à dialoguer, nuancer et étoffer ta réflexion, défendre ton point de vue sur la base de tes connaissances de l’œuvre

– – – – Epreuve notée sur 8

Voilà c’est fini ….

18. février 2020 · Commentaires fermés sur Quelle vision de l’amour au XXI ème siècle ? Mariage et famille ? · Catégories: Spécialité : HLP Première · Tags:

Aujourd’hui avec l’augmentation du nombre de divorces et les bouleversements liés à l’accélération de nos rythmes de vie, à l’augmentation de notre longévité, aime-t-on de la même manière qu’autrefois ? Comment les individus parviennent-ils encore à concilier leur désir d’épanouissement personnel avec une vie de couple, des contraintes familiales et souvent professionnelles ? Alors que les mariages de raison, imposés par le groupe familial se raréfient , du moins en Europe, on constate que beaucoup de couples sont malheureux ; certains envisagent même des thérapies , des médiations car ils craignent, en se séparant, de briser leur cellule familiale; Comment expliquer cette faillite de l’amour libre et quelles en sont les causes ? Et si l’amour n’était pas fait pour durer ?  Les histoires d’amour finissent-elles mal ne général? Allons faire un  petit tour du côté de la littérature ….

Les romans d’amour nous enseignent le plus souvent la douleur de l’amour et les dangers des passions . Les moralistes classiques mettent l’homme en garde contre les excès en matière de sentiments; L’amour nous rend malade et peut nous faire mourir dans de nombreux cas et particulièrement dans les tragédies te les romans d’analyse psychologique . Les philosophes des Lumières incitent leurs contemporains à faire preuve d’esprit critique et condamnent le libertinage  mais Don Juan , Casanova et les personnages des Liaisons dangereuses fascinent les lecteurs  en transgressant la morale et les codes . 

Stendhal invente alors le concept de cristallisation amoureuse  avec ses couples impossibles . Le siècle suivant  montrera les tourments de  la génération romantique : les héros trainent leurs âmes en peine et les poètes rivalisent d’images sombres : spleen baudelairien, mélancolie de Verlaine, folie avec Nerval , Méditations et lamentations avec Lamartine. On célèbre l’automne, la fuite du temps, le caractère inéluctable de la vieillesse  et on mêle ces thèmes aux déboires amoureux; Les sanglots, les violons et les paysages tristes dominent .   Le réalisme s’intéressera surtout à la puissance du désir et des instincts  en révélant que nous agissons sous l’influence de nos pulsions ;  L’amour peut y mener au crime et on tue souvent par amour : les crimes passionnels intéressent particulièrement les écrivains comme Zola avec Thérèse Raquin ,et La Bête humaine.

La psychanalyse et l’inconscient remplacent progressivement la transcendance et la fatalité des Anciens . L’individu aliéné par son désir , peut tenter de s’en affranchir mais, au même moment, l’amour fou est célébré par les surréalistes qui déclarent leur flamme à travers les images surprenantes de leurs vers libres. Quelle est , de nos jours, la place de l’amour dans la littérature  et comment les écrivains actuels le décrivent-ils ? En soulignent-ils la force ou la faiblesse , les bons ou les mauvais côtés ? Regardons ce  débat entre deux philosophes qui confrontent leur vision de l’amour : écoutons-les et essayons de noter les points essentiels qui les opposent pour pouvoir ensuite ,étendre notre réflexion à certaines oeuvres littéraires contemporaines 

 

15. février 2020 · Commentaires fermés sur Phèdre ou les dangers de la passion… · Catégories: Première · Tags: ,

Qui est Phèdre ? Il s’agit d’une héroïne de la mythologie grecque: “fille de Minos et de Pasiphaé ” ; héritière d’une lignée marquée par une malédiction divine . Soeur d’Ariane, qui grâce à son fil, aide Thésée à tuer le Minotaure enfermé dans son dédale , Phèdre a donc oeuvré pour éliminer son propre frère monstrueux : ce taureau mi- homme mi- animal , né des amours  imposés de sa mère avec une bête  sauvage. Pourtant Racine , en retraçant la lignée monstrueuse de Phèdre, pose quelque part le problème de sa responsabilité personnelle.  Euripide en – 480  est le premier tragique grec qui aborde le thème de la marâtre amoureuse du fils de son mari et Hippolyte , le fils , est, tout d’abord, le héros éponyme de la pièce . Racine choisit  docn , en réécrivant le mythe, de mettre l’héroïne féminine sur le devant de la scène .  Phèdre sait qu’elle doit combattre le sentiment amoureux qu’elle éprouve pour son   beau-fils sous peine d’être incestueuse et pourtant elle fait l’aveu, à sa confidente, de sa passion coupable ; Est-elle vraiment  désarmée face à la puissance de la Passion ? 

Phèdre est un personnage tragique qu’on associe le plus souvent à la douleur de l’amour . Certes , la langue poétique et ancienne de Racine peut parfois faire obstacle à votre identification mais si vous dépassez vos préjugés, vous entendrez un langage amoureux résolument actuel .  Aimer et ne pas être aimée en retour, douter des sentiments de l’autre, faire souffrir celui qui vous aime , craindre d’avouer son amour : autant de thèmes qui sont loin d’être dépassés aujourd’hui. La tragédie de Racine tient uniquement au pouvoir des mots et des images et quels mots ! Phèdre porte à la fois le poids de la culpabilité maternelle  et des remords d’éprouver un amour incestueux. Elle souffre également de la jalousie envers une rivale plus jeune qu’elle , la belle Aricie dont Hippolyte est amoureux. Elle ne peut s’empêcher  d’éprouver du désir tout en sachant cet amour  condamné par la morale et la société. Mais comment s’exprime la passion dans la tragédie ?

Le premier personnage à avouer qu’il aime , c’est Hippolyte en personne qui se confie à Théramène ; Il justifie son départ de  Trézène par deux raisons ; il part à la recherche de son père et il fuit sa belle-mère qualifiée de “dangereuse marâtre”; Cependant la haine qu’elle lui vouait a disparu, selon Théramène et elle souffre d’une étrange maladie “ une femme mourante et qui cherche à mourir / atteinte d’un mal qu’elle s’obstine à taire ” ; la tragédie justement va consister dans cette libération de la parole que s’interdit , pour le moment , Phèdre;

Mais revenons à Hippolyte: il avoue fuir une autre “ennemie” cette jeune Aricie, reste d’un sang fatal conjuré contre nous ; d’emblée, la périphrase qui désigne la jeune femme l’associe à un passé sanglant ; Ses  50 frères, dans le mythe, ont tous été abattus par Thésée car ils étaient les héritiers du trône qu’il convoitait et il a interdit, sous peine de mort, à la jeune fille, de se marier afin que sa lignée s’éteigne . Contrairement à son père, Hippolyte est décrit comme un “ennemi des amoureuses lois” , c’est à dire un homme qui méprise l’amour et qui ne subit pas le “joug de Venus “; On voit bien, avec le vocabulaire employé que le sentiment amoureux s’impose à l’homme qui se contente de le subir . C’est pourquoi la passion  amoureuse est définie , notamment comme une force qui nous rend passif et contre laquelle on se bat en vain. Avant d’avouer son amour pour Aricie, Hippolyte rappelle les  nombreuses aventures de son père ; Il évoque ses exploits guerriers et ensuite ses conquêtes comme des “faits moins glorieux ” Thésée séduisit et enleva la belle Hélène, sauva Péribée du Minotaure, l’épousa et  l’abandonna,avant de récidiver avec Ariane, la propre soeur de Phèdre abandonnée, elle aussi,  sur l’île de Naxos; Tant de femmes, lui reproche d’ailleurs son fils , dont il ne se souvient même pas des noms, ajoute-t-il . Et Hippolyte craint de ressembler à son père en tombant lui aussi, amoureux. Il redoute , comme il le dit au vers 113, d’embarquer sa jeunesse “dans un fol amour ” . Son ami Théramène tente de lui présenter les joies d’un “chaste amour “, sa douceur et lui rappelle que sa mère Antiope, reine des amazones, était elle aussi ,ennemie de l’amour avant de rencontrer Thésée et de donner naissance à Hippolyte ; le jeune homme tiendrait son côté farouche de son ascendance maternelle; Des changements dans l’attitude du jeune guerrier ont été remarqués : il chasse moins souvent et son amour est visible à certains symptômes physiques  : ” Chargés d’un feu secret vos yeux s’appesantissent. Il n’en faut point douter, vous aimez, vous brûlez. Vous périssez d’un mal que vous dissimulez. ” (vers 135 à 138 ) . Le dramaturge utilisera les mêmes termes pour décrire le feu qui ronge Phèdre au même moment: ce qui crée un rapprochement centre ces deux personnages, unis dans une même souffrance amoureuse. La scène suivante , en effet, nous dépeint , en détails, le mal mystérieux dont souffre Phèdre .

La reine touche presque à son terme fatal..elle meurt dans mes bras d’un mal qu’elle me cache ..” La servante Oenone, confidente de Phèdre, semble très inquiète pour sa maitresse et s’alarme de la voir souffrante .  Au début de la scène 3, elle la presse d’avouer l’origine de ce qui la fait tant souffrir . Phèdre évoque sa mort prochaine , son désir de renoncer à la vie à cause de “ses honteuses douleurs” ; Oenone tente de lui rappeler ses devoirs : elle doit rester en vie pour assurer la protection de ses enfants en l'absence de leur père. Lorsqu'elle prononce le nom d'Hippolyte, Phèdre tressaille et la servante pense qu'elle éprouve encore de la colère pour ce fils qui n'est pas de son sang et qui représente une menace pour les enfants issus de son mariage avec Thésée. La nourrice interprète mal ce qu'elle voit et elle l'incite vivement à se confier : si elle ne parle pas, elle ne mourra et Oenone la suivra dans  la mort; C'est donc pour épargner la vie de sa nourrice que Phèdre se décide enfin à avouer ce qui la ronge "quand tu sauras mon crime , et le sort qui m ‘accable/ Je n’en mourrai pas moins, j’en mourrai plus coupable” prévient-elle..  elle mentionne en premier lieu “la haine de Venus” ; rappelle “les égarements” de sa mère … elle avoue avoir “toutes les fureurs de l’amour ” (260 ) mais se souvient des infortunes qu’il  a fait subir aux femmes de sa famille. Le nom tant redouté est enfin prononcé par Oenone qui est glacée d’effroi à l’annonce de cet amour défendu par la morale et se lamente ” O désespoir! ô crime! ô déplorable race !”  On remarque , à cette occasion que la nourrice relie cet amour coupable à la malédiction qui s’est abattue sur cette famille  et qui semble ici, poursuivre , les descendants. Phèdre s’épanche alors dans une longue tirade  pathétique qui achève la scène 3.

Phèdre peint essentiellement les ravages de la passion et Racine envisage surtout le sens du mot comme un état extrême de soumission qui fait souffrir l’individu  et qui peut avoir comme origine l’amour, et ses dérivés : colère, haine , jalousie, chagrin. Cet état d’excitation plonge les personnages dans de grandes agitations , qui se traduisent, sur scène, soit par des aveux à un confident , soit par de longs monologues introspectifs sous forme de tirades enflammées , soit par des dialogues mouvementés qui sont de véritables confrontations entre les personnages . La tragédie s’efforce, et c’est un paradoxe, de rendre compte du trouble dans lequel les passions jettent les personnages , dans un langage qu’ils s’efforcent justement de maîtriser .. les sources de la passion sont multiples : amour interdit sur le plan politique ( Aricie et Hippolyte), moralement interdit ( Phèdre et son beau-fils ) , moralement répréhensible ( Thésée époux volage et infidèle ) ; On lit aussi dans cette tragédie les ravages de la colère et ses conséquences funestes : Oenone en colère contre Phèdre qui veut mourir, Thésée en colère contre son fils qu’il croit coupable , Phèdre en colère contre elle-même qui choisit de s’infliger la mort et qui entraîne sa nourrice dans la mort en la haïssant. Les personnages sur scène semblent captifs de leurs émotions et excessifs en tout; Thésée aime trop et trop souvent alors que son fils souhaiterait être délivré du sentiment amoureux et le considère comme un ‘joug ” c’est à dire un fardeau, un poids très lourd qui l’entraîne ; Les deux personnages représentent deux faces opposées d’un même excès.

Racine avait déjà montré dans Andromaque, quelques années plus tôt,  le combat interne entre Passion et Raison : il reprend dans Phèdre cette idée de lutte de l’individu contre une force annihilante ; L’homme y apparait comme soumis à une forme de fatalité qui le dépasse ( le fatum ou transcendance ou les Dieux  ) . La passion amoureuse s’y révèle à la fois coupable et impossible et le personnage qui tente de s’affranchir de cette passion, sombre dans une mélancolie qui le conduit à envisager sa disparition comme la seule échappatoire pour mettre un terme à sa souffrance et à sa honte . La tumeur amoureuse ne peut être extraite que par la destruction complète de soi . Vision très pessimiste de la passion car aucune victoire de l’individu n’est possible .  Le destin amoureux est imposé par une puissance supérieure et extérieure , qui  finit par vaincre et provoque la destruction de l’individu .

De plus, influencé par la tradition janséniste, Racine, particulièrement chez ses héroïnes féminines,  montre le combat amoureux comme un combat violent contre une forme de monstruosité : d’emblée, la personne aimée est présentée comme un ennemi implacable et le registre épique est dominant ; la lutte est âpre et provoque des désordres du corps et de l’humeur, un ensemble de symptômes liés au désordre amoureux.

Pour conclure ce tableau de la peinture des passions dans la tragédie racinienne, retenons que la passion est un agent destructeur puissant .  La passion ne s’attaque pas seulement à l’individu isolé, elle détruit également l’ordre social avec les risques de disparition des rois et des renversements d’alliances. Le dramaturge peint toutes les nuances de l’amour pour au final, montrer que même l’amour le plus pur au départ, peut se transformer en fureur quand il devient excessif . Phèdre est donc  une tragédie qui nous permet de réfléchir aux dangers des passions . Ci-dessous un résumé de la pièce pour vous aider à construire vos introductions …