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Classé dans (Correspondance) par Agnès Dibot le 08-02-2014

Le coup de foudre, drôle d’expression pour parler d’amour… Racine a exprimé  de bien plus belle façon cet envoûtement du coeur, de l’esprit lors de la rencontre de celui (de celle) qui deviendra “le seul être au monde” en l’absence de qui le monde est, dès lors, dépeuplé. Aimer une personne sans la connaître : oui. Aimer une personne au premier regard : oui. Aimer une personne immédiatement : oui. Le coeur humain a ses raisons que la raison ignore : c’est le propre de l’homme, le sentiment amoureux. Il serait vain d’en chercher une explication scientifique, même si d’aucuns s’y sont essayés : nous obéirions, en éprouvant une attirance pour telle personne plutôt que telle autre, à une alchimie olfactive ! Sisi… “Dis-moi quel est ton parfum, je te dirai si je t’aime”, pourrions-nous imaginer alors… Nos phéromones nous joueraient un tour de magie : plus qu’un port de tête, un visage, un regard, des mains, un sourire, ce seraient ces petites phéromones qui nous porteraient vers cet bel inconnu (cette belle inconnue), devenu en un éclair (tiens, une métaphore filée du coup de foudre) irrésistible à nos sens.

J’ai écrit “bel inconnu” (belle inconnue) : l’adjectif porte son sens : la beauté étant subjective, ou relative, la présence de cet adjectif ne choquera point, souhaitons-le. L’inconnu qui foudroie nos sens, notre coeur, qui, d’un tour de passe-passe, au premier coup d’oeil, a enivré nos émotions est beau : oui. A nos yeux : lui seul (elle seule) existera désormais. Relisez L’Education sentimentale (votre texte support lors du brevet blanc)  et voyez Marie Arnoux à travers le regard de Frédéric : elle est une apparition. Sa personne ne cessera d’occuper l’esprit du jeune homme dès lors qu’il aura été séduit par son image. Marie est belle à ses yeux. Aux yeux de Julien Sorel, ce sera Mme de Rênal. Aux yeux de Tristan, Yseult. Aux yeux de Roméo, Juliette…  Que voulez-vous, il est inexplicable, cet élan qui nous attire chez “l’élu du coeur” !

Existe-t-il ? Oui. Est-il raisonnable ? La question est soulevée dans la formulation : “peut-on aimer quelqu’un qu’on ne connaît pas ?”.  Absolument pas ! Et alors ? Depuis quand l’amour devrait-il être raisonnable ? Si la littérature apprend quelque chose, c’est à s’émerveiller d’un sentiment, d’un trouble, d’une découverte : sans frein, sans réflexion. Tous les héros romantiques se perdront dans une passion irraisonnée : mais à la fin seulement. Avant la fin, que d’émois, que de palpitations, que de vertiges ! Que d’aventures et de mouvements du coeur ! C’est vivre qu’aimer sans chercher à voir la ligne d’horizon. Aimer, c’est prendre le risque de désaimer un jour. Et alors ?

Anissa va soupirer : “Non mais, elle est limite hors sujet, là ! Faut pas abuser…”  Et relire l’intitulé pour convenir que, décidément, non, le prof a toujours raison : on peut broder, laisser aller la parole, tant que le thème est présent : reste à recentrer à présent le débat. Anissa, tu es la voix de la sagesse : reprenons. On peut assurément tomber sous les lois  de l’amour et être réduit à aimer aveuglément l’élu(e) de notre coeur aux premiers instants. Sans savoir qui il (elle) est : mais quand peut-on dire d’une personne qu’on la connaît, et décider, enfin, qu’elle est digne d’être aimée ? Combien de rencontres faudrait-il pour,raisonnablement, estimer avoir sondé le coeur et l’esprit de l’être potentiellement aimable, avant de lui ouvrir, enfin, son coeur ? M. Mastorgio nous précisera peut-être les délais que les convenances, au fil de l’Histoire de notre société (bourgeoise s’entend), ont imposés. Le protocole fiançailles-mariage respectait vraisemblablement un délai. Mais il nous dira également que tout ceci n’était que convenances, que les mariages de raison tenaient pour rien les mouvements du coeur, d’où leur nom.

“- M’Dame, vous vous égarez !”  Anissa, décidément, veille.

Nous pouvons donc tomber amoureux d’une personne sans la connaître : une fois le coeur pris dans les filets dorés de cet autre, cet être devenu cher, il n’est plus qu’à  apprendre à le connaître. La découverte de cet Autre, qu’elle soit réelle ou virtuelle (on voit se développer, au 21ème siècle, des correspondances via Internet de deux plumes ne se connaissant pas mais apprenant à sonder le coeur, l’esprit de l’autre par l’écriture, l’échange devenant alors richesse) confirme -dans les histoires d’amour heureuses- le premier élan. Et cet Autre qui nous avait touché au premier regard se révèle être l’âme soeur.

“Oupa” : diront nos zados. Pardon : “Ou pas”, pour l’orthographier correctement.  Qu’ils sont pessimistes, nos zados ! Et que notre génération chemises à fleurs peut paraître, à leurs yeux, Fleur Bleue…