Fév
08

Quelle question. Quel défi que de vouloir l’évoquer ici, d’autant que le diktat de madame Dibot, quant à la longueur des articles, n’incite pas au déploiement d’une argumentation lyrique et aurait tendance à confiner ma modeste expression dans des limites dignes du dogme 95 cher à nos cinéastes Danois.

Peu importe, je me lance et, faute de relever un défi, je souhaite exposer quelques éléments de réflexion et d’interrogation. Je déplore en premier lieu une certaine pauvreté de notre langue qui nous fait aimer le chocolat autant que nos chiens ou le partenaire d’une vie. Certes, les puristes argueront du fait qu’il est possible de choisir un vocabulaire parfois plus précis, mais, de manière générale et au quotidien, avouons que la limite existe. Je ne me hasarderai donc pas à tenter une définition de ce qu’est “être amoureux” et considère, abusivement il est vrai,  que nous en partageons l’entendement. Dans un second temps et afin de délimiter les termes de mon sujet, je préciserai que je n’entre pas ici dans le débat scientifique, lequel réduit le sentiment amoureux à une simple question de phéromones, de chimie et de réminiscences de notre cerveau reptilien. Que cela est laid. Faute de compétences je ne rentrerai pas plus dans une analyse psychologique fine permettant de définir une typologie des relations amoureuse en fonction de la simple création de binômes liés par des névroses se complétant, ici cela devient hideux, cependant il convient  de noter que le sentiment amoureux nait souvent de cette recherche de notre moitié, la langue en garde l’expression imagée, telle que le Banquet de Platon la met en avant avec le mythe des androgynes ou hermaphrodites sur lesquels ce cher Zeus s’acharna un tantinet.

Par conséquent je m’autorise à ne faire appel qu’au subjectif de nos sentiments et de nos perceptions conscientes et inconscientes, à travers quelques références littéraires, de grands névrosés entre autres, ceci étant posé, ces prolégomènes achevés, je débute.

Marius et Cosette, dans Les Misérables, de ce cher Hugo, me semblent assez bien répondre à la question. Au cours de pages fécondes en détails, l’auteur nous explique comment ces deux individus qui se voient, de loin, se croisent, de près, parviennent à tomber follement amoureux, l’un de l’autre, en un seul regard, furtif. Il va de soi qu’ils ne se sont jamais parlé et ignorent tout l’un de l’autre, cependant, les 500 pages qui suivent aident à voir la construction de cette relation jusqu’à son terme qui conduit les deux amants à l’empyrée de la félicité conjugale.

Dans un registre plus ancien, mais que j’apprécie plus, je citerai La princesse de Clèves,  de madame de la Fayette, avec l’amour de monsieur de Nemours pour ladite princesse, nous touchons là à l’impossibilité de l’amour, né de l’interdit autant que de la contemplation de l’aimé qui, selon le principe des grecs anciens, car il est beau, est aussi bon. Beauté et bonté allant de paire, comment ne pas succomber au charme de celle ou celui qui s’en trouve pourvu? Point n’est besoin d’en savoir plus, l’apparence révèle le tout.

Un de mes romans préférés, Eugénie Grandet, nous apprend comment Eugénie tombe amoureuse de son cousin Charles, bien qu’elle n’en connaisse rien, mais, comme le dit Balzac, il fait l’effet du paon dans la basse-cour, lorsque, de nuit et sans prévenir il échoue dans la demeure Saumuroise de son oncle,  affublé de tout le luxe du dandy parisien dont la pauvre fille ignore tout et cela suffit à le rendre désirable en tous points. Cette idée que les jeunes filles seules, qui passent leur temps à rêver au prince charmant, sans savoir ce qu’est le prince charmant, est très XIXè, Musset y revient lui aussi. Naturellement, on peut aussi citer Les jeunes filles de Montherlant, plus tardivement, où l’on évoque, dans un roman en partie épistolaire, l’amour qu’Andrée et Thérèse portent à Costals, sans l’avoir jamais vu tout simplement car elles sont tombées amoureuse de sa littérature. Enfin, comment ne pas citer Proust, dont le narrateur, dans les divers tomes de La Recherche du temps perdu, ne cesse de tomber amoureux de jeunes filles, pas toujours en fleur, dont il ne connait rien, mais dont le nom suffit à le faire se pâmer.

Il semble donc que, pour nos auteurs, le coup de foudre existe, avant tout car les individus qui le ressentent se montrent sensibles à quelque chose de beau, que ce soit l’autre, sa réputation, son écriture, ce qu’il symbolise pour eux. Se pose alors la question cruciale: qu’est ce que le beau?

Afin de poursuivre le débat, je vous laisse, souvenir de Terminale A2 oblige,  avec Emmanuel Kant, dans sa Critique de la faculté de juger qui nous répond: “est beau ce qui plait universellement sans concept”.