Charlie n’était pas mort ce matin, grâce aux rires intelligents de ceux de mes zélèves de 4ème3 qui, découvrant pour la majorité (que voulez-vous, ils n’ont pas quinze printemps encore) les Unes de Charlie Hebdo, ont ri de la caricature en général, de l’irrévérence en particulier.
Même les Unes ayant fait polémique, à l’époque, ont trouvé un public somme toute fin appréciateur du trait, de l’idée, du bon mot. Quel meilleur hommage pouvaient-ils rendre aux Charb, Cabus, Volinsky, et autres victimes de la barbarie terroriste, ces jeunes (dont la plupart sont inscrits en option media) que ce rire franc ?
Oui, ils ont ri, et ce rire était une façon de saluer ceux qui ont payé de leur vie ces dessins.
Et pourtant, qu’il est fragile, ce rire qu’une réflexion de l’un sur l’indécence de la provocation peut briser en une seconde ! Redisons-le : oui, on peut, en France, dessiner le prophète Mahomet : notre pays est laïc, la liberté d’expression est un droit. Inaliénable. Non, il n’y a pas d’irrespect de la religion musulmane dans ces caricatures : il est temps d’apprendre à comprendre un dessin de presse ! Oui, ces illustrateurs, ces journalistes tombés pour la liberté d’expression ont fait preuve de courage en dessinant sous la menace. Oui, l’hommage de la nation leur est légitime.
L’heure est à la culture, à l’éducation : après le silence du recueillement, il sera temps d’instruire nos chères têtes, qu’elles soient blondes ou brunes. Pour que la devise républicaine prenne sens.
Charlie Hebdo, c’était l’irrévérence, l’humour à tout prix, un journal satirique qu’on aimait pour le droit qu’il nous offrait, à nous, lecteurs, de rire de tout, d’absolument tout. Charlie Hebdo se moquait de tout, de tous, avec une insolence telle que la rédaction s’attirait les foudres de fâcheux d’un jour.
Charlie Hebdo, c’était ce petit journal dont la génération de nos parents se délectait : ceux-là mêmes qui nous ont transmis le sens de l’humour en même temps que l’ouverture d’esprit. De l’humour, il en fallait, pour lire Charlie Hebdo : l’irrévérence allait bien, dans une France tolérante. Aujourd’hui, c’est cet esprit libre qui est touché en plein coeur, et c’est tout un pays qui a mal à sa liberté d’expression.
Les Unes de Charlie Hebdo ont occasionné, ces dernières années, en séances d’option media, des débats houleux avec certains de nos zélèves : à l’époque où la rédaction de Charlie a crânement soutenu la liberté d’expression en publiant des dessins de presse figurant le prophète Mahomet, on a dû expliquer que la liberté d’expression est une valeur fondamentale dans une nation républicaine, laïque. Parfois avec véhémence. Parce qu’on l’écrivait dans ces colonnes voici quelques jours, ici, on éduque.
Perrine Cherchève, journaliste à Marianne, lors de sa visite au collège, s’est prêtée au jeu de la discussion avec nos zélèves, en “conférence de rédaction” : lorsque nous avons abordé l’affaire des caricature du prophète par les journalistes de Charlie Habdo, certains zélèves ont émis des réserves, dénonçant la provocation vis-à-vis des musulmans. Notre journaliste a alors redit l’importance capitale de cette liberté d’expression chère à la France. Et quand la sonnerie de fin de séance a retenti, nombreux étaient ceux qui aurait bien poursuivi le débat. La phrase, extraite de la chanson du clip du film La Marche : “Je réclame un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo” avait choqué les zélèves. Aujourd’hui, hélas, l’attentat d’une violence inouïe perpétré contre les journalistes de cette rédaction de libres penseurs est une réponse à cette provocation, entre autres menaces.
Et c’est nous qui avons mal à notre liberté d’expression. On se réveille dans un pays atteint en plein coeur : oui, on aimait rire des provocations gouailleuses de Charb, de Cabu, de Volinsky, on riait parfois jaune, on grinçait parfois des dents, mais on pensait, et librement. Des hommes sont morts, pour avoir osé défier la bêtise et respecté au prix de leur vie un principe qui était leur religion : la liberté de penser.
J’ose espérer que nos zélèves comprendront la gravité du deuil national rendant hommage à ces victimes : et que la minute de silence, un acte symbolique d’unification face à l’intolérable, sera pour chacun l’occasion d’une réflexion sur la tolérance. Le temps est à l’hommage.