le temps s’arrête dit Gilbert Cesbron. Pour un névrosé comme moi, sur le plan du rapport au Temps, une telle phrase est capitale et me permet de poursuivre notre réflexion, ou la mienne, entamée il ya de cela trois semaines. Je souhaite aussi faire, encore, un rapprochement avec le film Amélie Poulain et les citations d’Hypolito, écrivain raté, citation que je vous laisse chercher en retournant voir le film, il le mérite, et en donnant ici, en plus et afin d’aller dans le même sens, une citation de Xavier de Maistre: les souvenirs du bonheur sont les rides de l’âme. Je pense qu’ils peuvent aussi être les rides du visage.
Nous retrouvons donc ici cette ambivalence de la semaine passé, et ce partage entre le désir de préserver ce qui EST face aux peurs du changement et de ce qui SERA. Un visage qui a vécu est marqué, ridé, que les rides soient de joie ou de tristesse. N’avez-vous pas remarqué en littérature ces très fréquentes allusions au fait que les émotions des personnages se trouvent perceptibles au détour d’un sourcil levé, d’une ride qui se dessine, d’une moue qui s’affiche et se creuse dans le visage?
Si les yeux sont le miroir de l’âme, le visage en est bien la carte et résume les émotions et actions d’une vie, ce qu’avait bien compris Dorian Gray avec son portrait. Nous vivons encore plus, maintenant que la chirurgie esthétique permet des miracles, ce désir de figer le temps, de rendre tous les visages lisses et nets comme ceuxdes adolescents idéalisés, que vous êtes, par notre société de consommation obsédée par le jeunisme et qui refuse de laisser le Temps faire son oeuvre, nous faire subir ses irréparables outrages, comme l’exprime si bien cette merveilleuse Athalie de Racine. Cependant, on a aussi de sublimes pages, chez Balzac, décrivant des vieillards auxquels on peut trouver une beauté, même si celle ci, par définition, confine un peu au charme des ruines, mais il y a là quelque chose de particulièrement romantique, au sens premier du terme.
Le bonheur, au final, serait donc plus finalement la capacité à accepter le temps qui passe et la possibilité de savoir jouir des diverses étapes de nos vies respectives, sans jeter de regard en arrière, de crainte de se retrouver, tel Orphée ou la femme de Loth, aux enfers ou en statue de sel, sans, non plus, vouloir vieillir ou grandir trop vite, car cela vient si promptement, si terriblement, si formidablement, toujours au sens premier.
Revenons donc au simple carpe diem et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes, qu’il soit de Leibnitz ou de Pangloss. Enfin, sachons lire dans les visages amis ou aimés, de nos proches ou d’autres , dans le souvenir de ces visages que l’on peut parfois ne pas voir durant des mois et des années, que l’on ne retrouvera peut-être jamais, sans que le sentiment jamais ne disparaisse, la force de nos vies, la force de nos sentiments, la force du Temps, qui, même lorsqu’il détruit les empires, peut n’avoir aucune incidence sur l’affection qui lie deux simples êtres et, bien au contraire, renforce ces mêmes liens. Vous l’avez saisi, je reprends ici cette interrogation sur les sentiments que peuvent être l’amitié ou l’amour. Je demeure en effet convaincu, mais je suis un idéaliste, que lorsque deux personnes ont l’une pour l’autre une affection vraie, les obstacles ne peuvent que renforcer leur union, voyez Roméo et Juliette et tous les autres, et ces amitiés indestructibles qui peuplent nos livres et nos films car elles ont à la fois des modèles réels et correspondent, là aussi, aux aspirations idéalistes de tous nos contemporains.
J’ai la chance de vivre une amitié, née il y a près de 25 ans, d’autres se sont tissées avec des personnes bien plus jeunes que moi ou bien radicalement différentes de moi, et elles durent, contre toute attente, contre toute logique, en dépit de rencontres peu fréquentes, depuis plus de 10 ans, car, à chaque fois, se trouvent des qualités essentielles comme l’écoute, la patience, la confiance et ce désir, de part et d’autre, de vouloir faire durer une chose, une situation, un sentiment, dont on sent qu’ils sont exceptionnels.
Le bonheur ne serait donc pas quand le temps s’arrête mais quand il fait durer l’amitié ou l’amour.
en pleurant un ami qui faisait la douceur de ma vie et dont la privation se fait sentir à tout moment. Fénelon, qui fut très brièvement évêque de Poitiers avant que d’être celui de Cambrai, expose ici admirablement ce que l’on peut ressentir en amitié et que d’aucuns croient réservé à l’amour. Lorsque j’ai cette citation en tête me vient aussi une image du film Amélie Poulain, lorsque suite à un décès dans son entourage, on voit un vieil homme, en larmes, effacer le nom de son ami décédé de son carnet d’adresses. Souvenons-nous aussi de Montaigne et de ce “parce que c’était lui, parce que c’était moi” évoquant son ami (réél?) La Boétie. Tout montre à quel point une amitié véritable est un bien inestimable.
Les vacances, les changements d’établissement, les écueils de la vie peuvent priver d’un amour ou d’un ami. Ils peuvent tout autant en susciter d’autres. Il faut ici, et pour cela, savoir jongler entre des sentiments bien contradictoires, la fidélité au passé, l’ouverture à l’avenir. Comme tout cela est à la fois complexe et douloureux. On rêve parfois, afin de s’éviter de telles souffrances, d’un temps qui ne change pas, d’un présent figé pour l’éternité. La vie cependant ne saurait se figer, autrement que dans la mort. Il faut donc savoir accepter de perdre et de gagner, des amis et des amours, tout au long de notre existence, certains y parviennent mieux que d’autres…
Mais cette citation, qui montre en apparence un peu d’égoisme, “je me suis pleuré”, fait surtout comprendre à quel point l’amitié était ici forte, puisque perdre l’autre c’est un peu perdre de soi. Quelle force dans le sentiment. Je ne puis m’empêcher de penser à ce temps, pas encore si lointain, où, le monde sans téléphone, sans portables, sans internet faisait qu’il fallait attendre, parfois, longtemps les nouvelles et les lettres des amis. Je redécouvre cela et me rends compte de cette chose merveilleuse que les amitiés survivent aux absences, aux séparations, au fait que la vie fait parfois que l’on ne peut faire parvenir à l’autre les nouvelles que l’on voudrait et que l’on n’en peut recevoir les nouvelles que l’on attend. Je savais cela possible, datant de l’époque pré-internet évoquée plus haut, le confort du monde contemporain me l’avait fait oublier, je le retrouve.
Quel plaisir cependant que de pouvoir se redire, simplement, avec certitude, je n’ai pas de nouvelles mais je sais qu’il ou elle pense à moi et de se remémorer alors le dialogue du Petit Prince et du Renard : tant que vous n’avez pas d’ami, vous n’êtes pas unique au monde.
Pensons en effet aux merveilleux romans épistolaires que cela nous a valu, aux scènes romanesques de ces ouvertures de coffrets renfermant des lettres d’un autre âge, nouées d’un ruban, à ces instants que nous vécûmes tous, enfin, je l’espère, où les doigts tremblent en saisissant une lettre, en en lisant la suscription… le très contemporain film Adieu Berthe fait revivre cela avec calme et efficacité et ma chère Amélie reconstruit ainsi une vie, avec des morceaux de lettres et cette certitude qui avait traversée et soutenue la vie de Madeleine Wallace: je l’aime, il m’aime.
Je suis heureux d’avoir connu cette époque où je scrutais avec angoisse le bout du chemin et l’arrivée du facteur, recevais de ses mains la lettre attendue, en dévorais les 3 ou 4 pages, rédigeais fébrilement la réponse et courrais à la poste du village, à 2 km, afin de pourvoir faire partir ma réponse dans la journée, par retour de courrier comme on disait alors… Oui, qu’il est beau d’avoir des amis, que l’on puisse ou non leur écrire.
Cela me conduit à conclure, à l’instar de Cocteau (dont on trouve un dessin dans la scène de la salle de bain de a single man, autre film culte pour moi, qu “écrire est un acte d’amour, s’il ne l’est pas il n’est qu’écriture”.
Voici la devise d’un Richelieu, petit-neveu du grand cardinal, mais je pense qu’on peut aussi la donner en modèle à tous nos anciens partis vers le lycée et à tout élève entrant au collège. Reste aux uns zé aux autres à mettre tout en oeuvre afin de satisfaire à la réussite de leurs ambitions.
Cependant, le grand Richelieu, l’homme en rouge, celui qui désormais et pour l’éternité portera sur moi un regard bienveillant, la porte de ma salle ouverte étant l’interface entre son portrait et mon estrade, entre deux mondes, entre deux dimensions, entre deux hommes, bref, le grand Armand-Jean du Plessis, cardinal-duc de Richelieu, pair de France, principal ministre de Louis XIII, Poitevin du côté de sa mère, eut aussi de nombreux bons mots et je vous livre celui qui suit:
l’autorité contraint à l’obéissance, mais la raison y persuade.
Et je laisse ici élèves zé professeurs méditer sur cette phrase profonde que je suis tenté de rapprocher d’une citation de Saint-Exupéry : l’autorité repose d’abord sur la raison, il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner.
Selon moi tout pédagogue devrait en permanence avoir de telles références en tête, et croyez bien qu’en dépit des apparences, je m’y emploie. Je considère qu’on trouve là des clefs, si ce ne sont LES clefs, d’un cours réussi, voire de bien plus qu’un cours.
la tranquilité et le repos, qui sont des biens que les plus puissants rois de la terre ne peuvent donner à ceux qui ne les savent prendre d’eux mêmes, disait un homme de Châtellerault, Descartes. En cela il tombait d’accord avec un rupificaldien, La Rochefoucauld, que j’aime beaucoup, lequel affirmait que ” quand on ne trouve pas son repos en soi même, il est inutile de le chercher ailleurs”.
Ainsi, chers zélèves et vous, ô lecteurs, songez que le temps de vacances qui s’ouvre à vous, certes inégalement, en cet été, pourrait être un temps de recherche de paix, de repos, mais de ce repos qui n’est pas seulement celui qu’il faut procurer à nos carcasses tremblantes (bon, pas pour tout le monde, question d’âge), usées par de longues veilles de travail ou de jeux vidéo, au choix, mais aussi à notre esprit. Pour cela point n’est besoin de chercher des paradis artificiels chers à nos grands poêtes, au contraire, c’est avec lucidité qu’il faut descendre en soi. Je ne sais s’il faut, pour cela, envisager le yoga ou le recours à quelque transe mystique que ce soit, ou bien encore à une toute proustienne introspection, mais, une seul certitude demeure, il nous faut plonger en nous, analyser nos émotions et sentiments objectivement, afin de pouvoir créer en nous la paix par l’acceptation de notre être.
Ici il me faut redire que je n’use d’aucune substance illicite lorsque je rédige mes articles, pas plus d’ailleurs que lorsque je n’en rédige pas d’ailleurs, mais que ce qui précède relève du simple bon sens.
Il faut faire des pauses dans nos vies virevoltantes et agitées, pressées et consuméristes. Il faut s’asseoir, prendre le temps de relire l’année écoulée, nos actions et nos inactions, sans culpabiliser, juste pour voir ou nous en sommes et veiller à nous améliorer pour l’an prochain. Relire nos vies comme on peut relire un journal intime, et cela procure un sentiment de paix, si, et seulement si, on accepte ce qui a été comme ne pouvant plus être modifié. Ruminer est une calamité, et pas seulement lorsqu’il s’agit de gomme à mâcher (on dit aussi chewing-gum).
Prenez donc le temps de vous reposer, de trouver en vous la paix qui vous donnera de pouvoir repartir, oh, dans quelques semaines à peine, dans ce qu’il convient de nommer une nouvelle année.
et tout est dépeuplé, disait Lamartine.
Au risque de faire du réchauffé, je n’ai pas fouillé les archives du Torchon afin de savoir si j’ai déjà “servi” cette citation, voici celle avec laquelle je souhaite clore cette année. Comme toutes les autres elle eut son lot de moments forts, heureux ou pas, sonores ou pas, avant tout car l’adolescence est l’âge propice à ce type de manifestations. Au fil des jours, sans que nous nous en rendions compte, ni vous ni ous, des liens se tissèrent, autour de bons et de mauvais souvenirs et moments, mais ce furent des liens, et c’est ce qui compte. Et puis voici qu’au terme de ces quelques mois, c’est le grand saut pour vous, à la fois dans les vacances et vers le lycée. On a beau dire, il me semble que nous nous attachons, ou que du moins nous nous habituons à ces rendez-vous qui habillent le coeur, malgré tout, là aussi, et on ne se pose pas la question en cours d’année de ce qui surviendra en fin d’année, l’objectif, avec les 3è, c’est le brevet et le lycée, avec les autres on ne se tracasse pas, on sait qu’ils sont là pour 4 ans, qu’on les croisera dans les couloirs l’an prochain, même si on ne les a pas en cours.
Et puis, là, subitement, en quelques heures, tout cesse, tous disparaît, tout s’arrête. Et je demeure persuadé que certaisn élèves aussi trouvent cela brutal, il y a un grand vide, plus de collège! PLus de tenues de profs à observer, plus l’occasion de rire de leurs petites manies ou tics oraux ou physiques etc.
Allons courage, dans deux mois vous retrouverez des salles de cours, de nouveaux profs à observer et c’est là que vous vous rendrez compte à quel point nous allons vous manquer, si, si, vous allez voir! En attendant, bonnes vacances à toutes et à tous, bonne poursuite d’études ensuite.
Last but not least, ainsi que le disent nos meilleurs ennemis d’outre-Manche.
Cette dernière citation des vacances est un peu comme le conseil du laboureur à ses fils, fort utile et précieuse. C’est aussi le conseil du Renard au Petit Prince qui me l’inspire.
“Faites vous des amis prompts à vous censurer”, conseillait Boileau en ses Satires.
Paradoxal à première vue, mais Voltaire préférait le paradoxe au préjugé. Vous entrez au lycée ou allez découvrir un nouvel environnement. Cela implique de nouvelles relations à tisser, nouer, entretenir. L’amitié est capitale, Voltaire, toujours, disait que “toutes les grandeurs de ce monde ne valent pas un bon ami”. Mon âge et mon expérience me le prouvent. J’ai noué des amitiés il y a plus de …voyons,…23 ans, et elles durent. Pas toutes de la même manière, avec l’une nous nous téléphonons tous les jours, avec un autre rarement mais nous reprenons les choses sans le moindre blanc, comme si nous nous étions séparés hier. Le point commun réside dans le fait que lors de ces échanges, nous dialoguons en toute liberté et franchise, car nous savons être compris, aimés, quoi qu’il se passe, sans jugement. Si besoin même, nous nous disons de saines vérités, pas toujours plaisantes, mais véritablement bonnes à entendre. Ce n’est pas du masochisme, mais je recherche ces conseils avisés qui ne prennent pas de pincettes et disent les choses telles qu’elles doivent l’être, afin de m’aider à progresser. Ces amis qui savent me censurer sont très précieux, nous savons que nous nous aimons tous assez pour pouvoir prendre ce risque permanent de la franchise.
Recherchez au lycée ces profondes amitiés, ces amis vrais qui vous diront la vérité et ne se faciliteront pas la vie en ne se souciant pas de vous mais en souscrivant à toutes vos fantaisies. Vous allez pouvoir rencontrer des personnes très différrentes, faites preuve d’ouverture d’esprit. Je suis persuadé que des relations vont naître qui dureront toute votre vie.
Oui, déjà la fin de ce qui devait être l’été, en ce vendredi où les températures culminèrent à 20 degrés et où la pluviométrie se montra fort généreuse, nous étions en droit d’en douter. Pour un peu nous aurions pu entendre les autochtones et autres indigènes s’écrier “c’est un temps de rentrée”. De fait, pour le modeste enseignant que je suis, dans la mesure où vendredi prochain aura lieu ma journée de pré-rentrée officielle, il s’agit, en toute logique, de ma dernière citation des vacances, j’ai bien dit officielle, afin de me caler sur les vacances des zélèves je veillerai assurément à en ajouter une autre.
Pour être en accord avec la saison, avec le moral de certains aussi je pense, voici un extrait de Tristan l’Hermite:
Le Temps qui, sans repos, va d’un pas si léger,
Emporte avec lui toutes les belles choses:
C’est pour nous avertir de le bien ménager
Et faire des bouquets en la saison des roses.
Nous retrouvons des figures et des sentiments assez classiques exprimés face à cette fuite du Temps, obsédante, déprimante, attendue, redoutée, en fonction des âges de la vie. Quoi de commun, en effet, entre la perception du Temps par un enfant, un adolescent, un adulte ou un vieillard ? Entre ceux qui voudraient en voir la course s’accélerer, pressés d’être grands et ceux qui font le décompte des fragiles instants qui leurs sont octroyés, comme un sursis, avant la mort.
Nous avons tous, en fonction de multiples critères liés à nos histoires personnelles, une manière bien spécifique d’aborder le Temps et sa course folle. Pour reprendre une image venue de Chine je dirais qu’il n’en demeure pas moins que nous sommes tous sur le dos d’un cheval en train de sauter un précipice.
Aussi, peu importe, lorsque l’on est vivant, peu importe la course du Temps, du temps nous en avons encore un peu, beaucoup, qui sait? Peu importe de savoir, ce qu’il faut c’est vivre, tout simplement, profiter du temps, pour voir ses amis, sa famille, de belles choses, de belles fleurs, se faire des souvenirs pour les jours où se déplacer ne sera plus possible, dire que l’on aime lorsqu’on le peut encore, manger de savoureux aliments qu’un futur régime de maison de retraite interdira etc.
Surtout, il faut savoir, c’est très difficile, trouver à chaque instant de notre vie ce qui le rend exceptionnel et digne d’être vécu. Le Temps qui s’écoule procure des satisfactions différentes que l’on soit jeune ou vieux, il faut simplement apprendre à accepter qu’après la jeunesse vient la vieillesse, que les fleurs fanent, que les arbres meurent, que les pierres s’effritent et lorsque cela est accepté, il est plus facile de vivre le Temps qui passe.
Ce ne sera pas la citation de ce soir que celle empruntée à monsieur de la Fontaine, qui appréciait Châtellerault et y visitait souvent ses cousins Pidoux, au Verger, en revanche, elle ouvre cet article en raison de la publication tardive de ce dernier.
Il me semble nécessaire ce soir, en forme d’hommage et d’amende honorable, suite à une rencontre effectuée ce jour et aux discussions qui en résultèrent, de conduire une réflexion sur la sagesse et, pour cela, de m’appuyer sur un des mes auteurs, sur mon auteur favori: Proust.
Dans La Recherche du temps perdu, il nous dit: “on ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même, après un trajet que personne ne peut faire pour nous, ne peut nous épargner”. Il est exact que cette sagesse est un état auquel nous ne pouvons accéder que par étapes, suite à de longues réflexions. Il est toujours exact que cela se produit comme un voyage initiatique et procure souvent, trop souvent, une forme de souffrance. Il est aussi vrai, depuis Socrate, le premier des philosophes grecs, que pour y accéder, le recours à autrui, le secours d’autrui, peut s’avérer utile, voire nécessaire. Ledit Socrate se comparait à un taon, a un gymnote, nous dirions à une mouche du coche, à un insecte qui irritait ceux avec lesquels il s’entretenait, afin de conduire ces derniers dans leurs ultimes retranchements réflexifs. Ainsi forcés et malmenés mais aussi éclairés, ils pouvaient acceder à une autre manière de voir, de penser, de se voir, de se penser. Cette maïeutique, déjà évoquée dans un article antérieur, se vit comme un accouchement de l’être, or aucun accouchement, en dehors des péridurales, ne se vit sans douleur. L’arrivée au monde est douleur, notre première douleur, notre premier cri résulte de l’entrée de l’air en nos poumons, or, sans cet air nous ne saurions vivre. La douleur n’est pas nécessaire ou obligatoire, mais la réflexion sur soi, son entourage, sa vie, si. Ainsi, de rencontres en dialogues, de spleen en interrogations, de doutes en espérances, progressons-nous sur le chemin de la connaissance, de la sagesse. Ce chemin est le nôtre, il nous est strictement personnel, mais les autres, notre entourage régulier ou de fugaces rencontres et discussions sont autant de points d’appuis susceptibles, avec plus ou moins de douleur, de nous permettre de naître à nous-mêmes.
“ne pas estimer la vie, toute la vie, c’est ne pas la mériter”.
Réfléchissons, car la phrase le mérite, mais aussi car ce sera bientôt la rentrée et qu’il faut réactiver tous ces neurones assoupis.
Lorsque Léonard de Vinci dit “toute la vie” il veut naturellement inclure les mauvais moments que cette dernière peut nous réserver. Or, il est vrai que nous sommes enclins à ne bien considérer la vie que lorsqu’elle nous comble de ses bienfaits. Dès que les choses se gâtent, les moments de tristesse, de désespoir ne sont pas longs à surgir.
Pourtant, la vie, cela ne saurait être en permanence du bonheur, du plaisir, de la santé. Ces moments ne peuvent peut-être même être appréciés pleinement que par ceux qui en ont éprouvé le manque. Il ne s’agit pas non plus de rechercher les désagréments de l’existence ou quelque forme de souffrance que ce soit, loin de là. Il s’agirait plus de pouvoir atteindre cette ataraxie chère aux philosophes stoïciens, ce détachement de l’âme qui permet de conserver son esprit calme.
Léonard, à la vie bien remplie, assez peu conforme aux exigences morales de l’époque sut-il se tenir loin des soucis et des troubles? Sut-il accepter toutes les étapes de sa vie, les bonnes et les mauvaises, sans se révolter? Sut-il vivre, au quotidien, profitant de tout ce dont il pouvait, faisant courageusement, ou pas, face aux aléas de l’existence? Sut-il vivre, simplement vivre, continuer, chaque jour, son existence, ses réflexions, poursuivre ses rêves, ses idéaux, ses lubies? Au vu de ce que l’on possède de lui aujourd’hui, je suis tenté de le croire.
Quel beau message, quelle belle leçon, avec quelques siècles de décalage. Il est important, pour nous aussi, de savoir apprécier chaque seconde de nos vies, quoi que nous apporte cette seconde, car, au cours de cette seconde, nous avons la chance de vivre, ce qui, aux très nombreux individus, hommes, femmes, enfants, confrontés à la guerre, à la famine, aux persécutions de toutes natures, n’est pas permis.
Connaissez-vous Oscar Wilde?
J’aime beaucoup cet écrivain qui eut le bon ton d’être Irlandais et non pas Anglais. Auteur de nombreuses pièces de théâtre et de recueils poétiques, il est surtout connu pour des oeuvre presque enfantines, comme Le fantôme de Canterville, paru en 1887, ou bien pour un roman à succès, Le portrait de Dorian Gray en 1891. Il l’est tout autant pour sa vie scandaleuse, au sens premier, en cette Angleterre Victorienne, et c’est en France qu’il mourut, en 1900, âgé de 46 ans, dans la solitude et la pauvreté, après avoir connu la gloire. La chambre d’hôtel dans laquelle il mourut fut d’ailleurs le lieu de son dernir trait d’esprit puisqu’il dit: “ce papier peint est hideux, soit il part soit c’est moi”.
Mais, ce n’est pas cette citation qui m’intéresse en ce jour, je souhaite soumettre à votre réflexion et sagacité intellectuelle la suivant:
“aujourd’hui les gens connaissent le prix de tout et la valeur de rien”
Cela me semble d’une grande actualité, tout doit avoir un prix, tout semble pouvoir s’acheter, se monnayer. Ce n’est donc pas un fait nouveau, certains ont toujours eu l’illusion qu’ils pouvaient acheter l’amour, l’amitié, l’honnêteté et, de fait, cela est parfois possible, du moins en apparence. Mais, au delà du prix, il y a la valeur. La valeur au sens des valeurs, la valeur au sens moral. Ainsi, en dépit de sa vie jugée si peu conforme aux principes moraux de son époque, Oscar Wilde était-il capable de se rendre compte que son univers quotidien perdait le sens des valeurs. S’incluait-il dans cette bérézina morale? Je ne le sais et, finalement, peu me chaut.
Ce que je retiens c’est qu’il est important de replacer les choses à leur juste valeur précisément. Il est urgent de se rendre compte que l’argent, qui fait tourner le monde, dont nous avons besoin, qui est un mal nécessaire, ne saurait remplacer et acheter tout sur cette Terre. Un peu d’utopie, beaucoup d’humanisme, le plaisir des relations simples et vraies, ce sont des valeurs essentielles, elles n’ont pas de prix.
Alors, s’il nous faut continuer à savoir le prix de tout, car ainsi le veut notre temps et notre monde, n’oublions pas que le plus important ce sont ces valeurs, cet essentiel qui est invisible pour les yeux et ne se voit qu’avec le coeur et ce n’est pas le Renard du Petit Prince qui me contredira.