06. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Ecrire le dilemme au théâtre · Catégories: Fiches méthode · Tags:
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 Un dilemme est une situation fréquente au théâtre : il s’agit d’un  choix quasi impossible, extrêmement douloureux face auquel un personnage est placé; Le dilemme devait être résolu c’est à dire que le choix devait être fait au cours de la scène . Votre sujet d’invention consistait à créer et ensuite à  rédiger   ce dilemme qui devait être joué sur scène sous la forme d’un monologue par un acteur . Pour ce fair vous deviez d’abord présenter la situation initiale c’est dir résumer en quelques lignes les enjeux du dilemme. Ensuite, vous deviez écrire un texte destiné à être représenté sur scène ; Donc le point le plus important de ce travail d’invention consistait à préciser les éléments de mise en scène choisis pour mettre ne évidence le caractère angoissant de la situation dans laquelle es trouve plongé le perosnnage. Voyons donc dans l’ordre chacun des points respectivement évalué à hauteur de 4 pts , 6 pts et 10 pts. 

Examinons d’abord les situations inventées 

Mention spéciale aux dilemmes qui mettent en jeu la vie d’un personnage : il peut s’agir de raisons médicales comme par exemple arrêter un traitement ou choisir qui va vivre et qui va mourir quand on ne peut sauver les deux personnes ; Ce sont les choix les plus difficiles et ils engagent la vie d’un individu. En temps de guerre , beaucoup d’hommes ont été confrontés à ces choix comme par exemple les résistants qui ont réussi à trouver le code secret qu’utilisaient les allemands pour communiquer et qui ont du choisir quels bateau ils allaient sauver et quel seraient ceux qui ne seraient pas prévenus des attaques; Ainsi un des mathématiciens a du choisir entre la survie esse généraux indispensables ) la suite des opérations militaires ou la vie de son frère et d’autres soldats blessés qui revenaient du champ de bataille. Excellent choix de situation épineuse. Le contexte de guerre exacerbe les dilemmes : un snipper , par exemple , ou un homme qui s’apprête à commettre un attentat ou à poser une bombe qui risque de tuer des civils , peut être en situation délicate sur le plan moral.William Styron a écrit un roman où un nazi demande à une mère à Auchwitz de choisir lequel de ces deux enfants, une petit fille et un petit garçon, elle va pouvoir sauver. Ce roman porte comme titre Le Choix de Sophie et il va dévaster la vie du personnage ; 

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Le dilemme amoureux est également un grand classique de la scène : un personnage doit choisir entre son amour et sa famille ; On peut par exemple imaginer qu’une femme ne souhaite pas quitter ses parents malades pour suivre son ami à des milliers de kilomètres pour son nouveau travail; On peut aussi imaginer qu’un des membres du couple doive choisir entre sa vie de famille et ses obligations professionnelles ; Parfois difficile de concilier les deux comme dans la vie ! Un personnage peut également devoir choisir entre deux prétendants et la pièce peut devenir une tragédie ou une comédie; Un copie a fort justement montrer un dilemme original: un roi qui refuse d’avoir un enfant de peur que ce dernier lui vole un jour son trône mais qui craint de perdre l’amour de la reine. Bien trouvé ! 

 Les questions d’honneur sont à l’origine de nombreux dilemmes : se taire ou dénoncer son bourreau pour les victimes au risque de conséquences pour leurs proches; Menace, chantage sont souvent sur scène les armes des puissants qui souhaitent assujettir leur opposant; Ainsi dans Andromaque,tragédie classique de Racine, Pyrrhus roi grec , dédaigné par sa prisonnière Andromaque, une troyenne veuve du prince Hector, décide de tuer son fils si elle persiste à refuser sa demande en mariage; cette dernière es retrouve donc face à un dilemme: soit elle condamne son fils en restant fidèle à son époux défunt et à sa mémoire, soit elle le sauve mais elle devient l’épouse de son ennemi. Racine et Corneille ont utilisé des personnages confrontés à ces choix douloureux entre l’exercice du pouvoir, la loyauté envers leur patrie, leur camp et l’amour pour un ennemi ou une femme du camp opposé. L’empereur Titus doit ainsi renoncer à Bérénice, reine de Palestine qu’il aime pourtant car le Sénat

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romain  lui interdit  ce mariage  dans la tragédie de Racine : Bérénice. 

“Rome, par une loi qui ne se peut changer,
N’admet avec son sang aucun sang étranger,
Et ne reconnaît point les fruits illégitimes
Qui naissent d’un hymen contraire à ses maximes.”   L’empereur  de Rome pour obéir à la raison d’Etat renonce à son projet de mariage et la reine quitte  le pays; Racine a écrit cette pièce pour rendre hommage au sacrifice du roi Louis XIV qui a renoncé à son amour pour Marie Mancini afin d’épouser l’infante d’Espagne pour des raisons politiques; Le devoir triomphe souvent de la passion au théâtre. 

Le dilemme peut également être exploité à des fins comiques : un groupe a ainsi imaginé  une campagne politique digne de House of cards qui voit s’opposer Marine Le Pont et Emmanuel Macrau , rivaux pour l’élection présidentielle, avec un chantage à la photo compromettante..mais la comédie satirique vire à la tragédie quand la candidate s’empoisonne en avalant une boîte de médicaments. Un autre groupe a fait preuve d’originalité en imaginant une infirmière maladroite qui tue un patient alors que la famille se divisait pour savoir s’il fallait ou non le débrancher .  Une situation tout à fait ingénieuse à exploiter sur le plan scénique. La palme du la sophistication du scénario revient à une copie qui a imaginé la responsable d’un accident de voiture mortel  qui s’enfuit et qui n’est autre que la mère de l’inspecteur qui doit mener l’enquête…quel dilemme s’il découvre la culpabilité de sa mère ! 

La qualité des textes , en dehors de la présence de fautes de syntaxe , reposait essentiellement sur la variété des arguments proposés par les intervenants ; en effet, un dilemme doit donner lieu à des interrogations, des questionnements ; Le style de l'argumentation s'apparente le plus souvent au registre délibératif; les personnages pèsent le pour et le contre et échafaudent des hypothèses (si ..ou bien si.. ) en fonction des choix à opérer; Ils envisagent également les conséquences de leurs actes et font part de leurs hésitations. Corneille a , par exemple traduit les hésitations de son héros Le Cid en fabriquant des stances

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Que je sens de rudes combats ! 

Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse: 

Il faut venger un père, et perdre une maîtresse

L’un m’anime le coeur, l’autre retient mon bras. 

Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme, 

Ou de vivre en infâme

Des deux côtés mon mal est infini. 

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On mesure ici la paralysie du héros qui , sur scène, exprime son impossibilité à prendre une décision ; Le registre pathétique est également employé dans le monologue célèbre de Hamlet de Shakespeare où ce dernier ne sait s’il doit continuer à vivre ou se laisser mourir . 

La dernière partie du travail d’écriture consistait à indiquer au moyen de didascalies , le travail de mise en scène . C’est un point essentiel dans une écriture destinée à la représentation; c’est ce qui différencie un texte littéraire d’un texte théâtral . Si autrefois les dramaturges donnaient assez peu d’indications dans leurs textes, c’est parce que souvent les didascalies étaient internes ; Aujourd'hui, les textes de théâtre contiennent énormément d'indications destinées à faciliter le travail du metteur en scène  et à guider le passage du texte écrit à la représentation ; C'est un point sur lequel vous devez travailler car la plupart de vos didsacalies sont assez conventionnelles ; vous devez donc préciser les gestes de votre acteur : face à un choix difficile, le personnage va montrer des signes d'agitation ; Il peut tourner en rond, faire les cent pas, se prendre la tête dans les mains, mimer le chagrin, la colère; Il bouillonne à l'intérieur et cette agitation doit se traduire par une gestuelle appropriée. N’oubliez pas non plus les intonations et les expressions . Le trouble peut s’entendre avec la voix, les pauses, les changements de rythme, de volume sonore. 

Bref n’oubliez pas d’inventer et de noter entre parenthèses ou à côté des noms des personnages ,des didascalies variées et nombreuses  dans vos copies si vous devez produire un texte théâtral.

09. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Antigone 82 : Beyrouth à Eaubonne · Catégories: Sorties · Tags: ,
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Ce vendredi 8 décembre , nous attendions avec impatience d’assister à la représentation de Antigone 82, une pièce   mise en scène par Jean-Paul Wenzel et tirée de l’adaptation , réalisée pour la scène , du bouleversant roman de Sorj Chalandon: Le quatrième Mur . Et bouleversés, nous l’avons été , à plusieurs reprises. Au premier regard, le rideau déchiré attire notre attention ; En son centre , un écran blanc qui servira à projeter les images des acteurs hors scène, effaçant ainsi partiellement les frontières entre ici , l’espace scénique, et là-bas, ailleurs, loin parfois comme le visage d’Imane au téléphone, une sorte de skype géant qui nous permet de voir l’actrice pour la première fois . Comment Arlette Namiaud a-t-elle choisi de faire débuter la pièce ? 

mur33.jpg Elle n’a pas conservé le dispositif imaginé par le romancier qui a construit son récit sur une énorme ellipse entre la fin du chapitre  1 qui se déroule le 27 octobre 1983 à Tripoli au nord de Beyrouth et les  chapitres 23 et 24 qui nous relatent la suite de la conversation entre Mehdi, le vieux soldat palestinien et Georges qui vit ses derniers instants.  La pièce s’ouvre à l faveur d’une assemblée  avec le discours de Samuel en 1974 à Paris et la rencontre entre Georges et Aurore sur fond de revendications féministes. Le ton est donné et le choeur sera présent tout au long edu la pièce . S’il faut un peu de temps pour entrer dans le jeu des acteurs et s’adapter au rythme assez soutenu de leurs changements de rôles ,des rafales d’émotion déferlent bientôt   sur le plateau avec pourtant des moyens minimalistes.   Deux chaises en plastique figurent la banquette avant de la mercedes noire de Marwan  dans laquelle Georges est à chaque fois invité à monter . L’acteur qui joue le rôle du guide druze  fut  l’un des plus convaincants hier soir; Il a su donner au personnage une profonde humanité.  De temps à autre surgissent quelques symboles facilement identifiables: la croix tatouée sur l’épaule de Joseph-Boutres, le sniper chrétien phalangiste  signe extérieur de sa confession et rappel du rôle qu’il s’est arrogé de protecteur des valeurs occidentales , les barbiches postiches des gardes chiites , la kippa remise à George spar son ami Samuel pour qu’il puisse représenter le choeur et le juif sur scène, un ou deux uniformes de soldats , de nombreuses armes sur scène mais rien de tonitruant, peu de bruit en dépit de la fureur des hommes . C’est d’ailleurs la parole chorale qui restitue le mieux  les grandes lignes du parcours du héros: la voix de sa femme Aurore, celle du docteur Cohen, celle de Simone l’ancienne ouvreuse du cinéma en ruines qui abritera la première rencontre avec les acteurs, les voix compatissantes de ses amis quand il peine à retrouver sa place d’homme au monde, après son second voyage à Beyrouth et sa découverte des exactions commises dans le camp palestinien de Chatila.

 

La guerre semble rattraper les acteurs un peu comme la maladie rattrape Sam: physiquement la prestation de Pierre Gaffieri est impressionnante ; Georges veut es laver de la guerre en retirant sa chemise et pleure longuement dans les bras de Marwan qui était pour l’occasion interprété par Jean-Paul Wenzel himself. La ssène qui m’a le plus touchée est celle de la première rencontre entre les acteurs sur la ligne de démarcation au coeur de Beyrouth ; Chacun doit renoncer à son identité, retirer son brassard  pour endosser son rôle et permettre à la représentation de se dérouler .  Les acteurs s’avancent tour à tour et présentent leurs personnages mais lorsque c’est au tour de la jeune palestinienne, elle rompt le pacte avant de se rétracter et d’accepter de disparaître au profit de la petite maigre. Le personnage d’Imane dans sa robe rouge sang incarne cette Antigone butée, mauvaise presque qui revendique le droit de mourir pour ses idées . L’adaptation fait  la part belle au collectif et restitue les étapes essentielles du parcours d’homme de Georges qui ,de l’envie de vivre insufflé par sa paternité , comme contaminé par Antigone, finit par ne plus  désirer que la mort comme on désire la terre promise. Le moment où il appuie sur la détente et exécute Joseph-Boutros, lui même assassin de Nakad, le fils de Marwan plonge le théâtre dans le noir et le silence du coup de feu est assourdissant. 

 

L’émotion est palpable mais nous ne sommes pas véritablement dans une  ambiance de tragédie : les passages qui nous font sourire ne manquent pas comme les concessions de Georges qui vend Créon en calife au cheik chiite, sa maladresse avec l’épisode où arrêté à un barrage , il se trompe de laisser-passer et les conseils pragmatiques de son guide pour positionner ses visas à côté de son coeur, dans ses poches ou dans son porte-feuille , les protestations de Khadijah qui ne veut pas mourir sur scène et le consentement du metteur en scène déclenche alors une réplique amusée de Charbel qui joue Créon  : ” Et Antigone s’en sort aussi ?” ; Le jeu totalement faux et outrancier de Madeleine qui a choisi dans son rôle de nourrice le passage où elle surprend Antigone qui rentre au petit matin a même fait rire ouvertement le public comme une respiration avant le drame imminent : l’attaque des avions israéliens sur ce quartier de Beyrouth. Le choix de l’adaptation respecte la chronologie et la mention des indications de lieux et de dates , imitation des lettres roulantes qui s’affichent dans les aéerport pour simuler les vols de Georges, facilite les repérages des spectateurs . 

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Bien sûr, la présence physique des acteurs, la voix rauque d’ Imane, la musique que jouent Nakad et un autre acteur et le fait que les 8 acteurs présents endossent plusieurs rôles chacun, donnent une véritable présence aux questions posées par le roman et qui sont pour la plupart reprises dans l’adaptation ; On regrettera simplement de ne pas avoir vu plus longtemps le coeur de ce roman: à savoir les répétitions de la pièce d’Anouilh ; même si Georges explique le choix d’Antigone et ce qu’elle représente, le metteur en scène est passé assez vite sur son travail de mise en scène justement , alors qu’il tenait  là une occasion de mise en abîme de son propre travail autour du roman. On aurait ,en effet, aimé voir Georges devenir véritablement le metteur en scène de cette nouvelle Antigone qui aurait du être jouée en 1982 et qui s’est effondrée sous le poids des événements historiques . Oui vraiment la guerre sort vainqueur de ce face à face avec Georges ; Antigone est bien morte deux fois : la première fois avec l’assassinat de l’actrice et la seconde fois avec le sacrifice du metteur en scène dans une rue de Tripoli un an plus tard . 

Une soirée de communion qui a relié Eaubonne à Beyrouth le temps de la représentation ! 

05. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Analyser un spectacle vivant : écrire un article critique après une représentation théâtrale … · Catégories: Fiches méthode · Tags:
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Aujourd’hui , Christophe Cardoni , un journaliste spécialisé dans la critique  des manifestations culturelles, accompagné par l’organisatrice du festival théâtral du Val d’Oise  sont  venus présenter aux élèves de première  les rudiments de l’écriture d’un article de presse qui rend compte d’un spectacle. Il s’agissait  pour eux, en 2016 d’écrire une critique de la pièce de théâtre Les Optimistes . Les élèves ont donc réfléchi durant deux heures  aux problématiques de l’analyse d’une représentation théâtrale. Cette année, ils se préparent à assister à la représentation d’Antigone 82 spectacle écrit pour le plateau à partir du roman de Sorj Chalandon : Le quatrième Mur 

 Tout d’abord, il fallait se poser la question essentielle : quel est au juste  le travail et le but  de la critique ?  S’agit-il simplement de donner son avis sur un spectacle ou le critique doit-il tendre à une certaine forme d’objectivité comme le journaliste? 
 Après une discussion avec la classe, 2 objectifs principaux pour l’écriture d’un article de critique théâtrale ont été mis en évidence  : rendre compte d’un spectacle et produire un avis argumenté; Il fallait maintenant s’intéresser aux différentes images qu’on peut conserver d’une représentation théâtrale donc s’interroger sur son esthétique 

 Les élèves ont alors tenté de dégager les composantes du spectacle vivant en partant du postulat de base selon lequel toute représentation  est interprétation. 

Les questions relatives au texte et à son adaptation : la dimension visuelle 

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 Un spectacle est bien entendu , le plus souvent, composé à partir d’un texte écrit  mais il ne s’agit pas toujours d’ un  texte produit par un seul individu  . Qui écrit le spectacle ? est-ce l’auteur ? est-ce le metteur en scène ? 
 De plus en plus, certains spectacles sont produits à partir d’une écriture collective dite de plateau ; les acteurs participent ainsi à l'écriture du spectacle en mutualisant leurs souvenirs, leur idées, leurs avis .

Quel est le rôle du metteur en scène ? 
Le metteur en scène est-il juste un traducteur ? est-il un véritable créateur même si ce n’est pas lui qui a écrit le texte ? Qu’est-ce qu’un geste de mise en scène ? existe-t-il un rapport de soumission, de hiérarchie entre l’oeuvre originale et l’oeuvre produite par le moteur en scène (quand il n’est pas l’auteur ) 

I L’analyse du spectacle 

1 La dimension esthétique

 Le spectateur qui assiste à une représentation se trouve confronté à une foule d’informations visuelles, auditives et il doit, en même temps, faire face à des sentiments variés, des  impressions qui peuvent changer d’une représentation à l’autre. La dimension esthétique du spectacle regroupe  ainsi ces différents éléments :

  • Le décor .  Il a une fonction illustrative mais pas seulement ; il peut être symbolique et son absence correspond également à un choix du metteur en scène ; elle peut être analysée comme un geste de mise en scène. Un décor sommaire peut symboliser le dénouement ou l’ atemporalité .
  • Le costume .  Lui aussi a plusieurs fonctions : simple illustration ou symbolique, il peut indiquer une époque historique ou faire référence à l’actualité de la mise en scène. Le roi Lear , le héros tragique d’une pièce de Shakespeare  nu sur scène  peut suggérer l’extrême solitude du personnage qui a tout perdu alors que la nudité de Don Juan pourrait mettre en valeur son pouvoir de séduction ; la nudité d’Antigone pourrait être perçue soit comme un acte de révolte à la manière des Femen , soit comme une preuve de fragilité qui la rendrait encore plus démunie face à Créon. 
  • L’éclairage. Il doit être interrogé et on peut proposer là encore des interprétations variables: lumière crue, ou douce, chaude ou froide; On peut imaginer Créon dans le noir et Antigone en pleine lumière ou le contraire ; Cela modifie la perception pour le spectateur de leurs rapports de force. 
  • Les moyens techniques sont désormais plus importants et permettent d’intégrer des techniques comme la vidéo qui devient parfois un moyen de faire entrer le hors champ sur le plateau , à la manière des récits des messagers dans le théâtre classique. Des caméras sur scène peuvent également boomer des détails te les projeter au public; On dit alors que le théâtre reprend le langage du cinéma et s’empare de se moyens techniques . 
  • Les sons et notamment les bruitages jouent également un rôle important ; de plus le spectateur doit distinguer les différentes  sources des effets sonores; ainsi  la musique  peut avoir plusieurs effets possibles selon qu’il s’agit d’une musique enregistrée ou  d’une musique jouée sur scène par un acteur :  on dit alors qu’elle est réalisée à vue La musique peut aussi créer une ambiance 

2. Les acteurs  et les questions relatives au jeu 

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Le jeu des acteurs est un compartiment très important de la représentation et il est difficile de l’analyser sans distinguer le rôle de la direction d’acteur assumée par le metteur en scène.  
 Le spectateur se montre souvent sensible à ce qu’il imagine de la  concordance du jeu avec le rôle : il va ainsi exprimer la qualité du jeu de l’acteur en fonction de ce qu’il imaginait du personnage . 
La direction des acteurs consiste à leur donner des indications de jeu, à leur expliquer comment ils doivent interpréter leurs textes mai également quels gestes ils doivent effectuer, quels déplacements et quelles expressions ils doivent tenter de reproduire . 
 le spectateur peut alors se poser la question de ce qu’il ressent en voynat un acteur jouer sur scène : Parvient -il à dégager de l’émotion ?  Cette émotion  est-elle partagée?. Est-ce que ses émotions sont transmises à l’ensemble de la salle ? Ressent- on tous la même chose face à un spectacle ? Certains spectateurs se sentiront peut être  touchés et d’autres demeureront  indifférents . D’autant que se pose le  problèmes des parasites du spectacle : le bruit d’un portable, le bruit d’un voisin, la fatigue, un mauvais placement..autant des facteurs qui peuvent altérer notre perception du spectacle . 

3. Le travail de mise en scène 

Pour le spectateur , il peut s’agir de juger de la qualité de l’adaptation de ce qu’il voit par rapport à l’oeuvre originale qui peut parfois provenir d’un autre univers comme le roman , par exemple. On qualifiera d‘interventionniste un metteur en scène qui met de la distance entre l’oeuvre et ce qu’il propose comme interprétaion; On évoquera également une interprétation personnelle : plus l’écart est grand entre l’oeuvre de départ et celle fabriquée par le geste de mise en scène, plus on mesurera sa dimension créative. Certains metteurs en scène demeurent extrêmement fidèles à la pièce de départ : ils font par exemple représenter des comédies de Molière avec des costumes d’époque,  un décor qui imite les meubles du siècle de Louis XIV, la prononciation d’autrefois, l’éclairage à la bougie sur scène et l’absence totale de trucages dans la mise en scène.

Mais rendre compte d’un spectacle, c’est aussi adopter une stratégie argumentation efficace 

II La dimension argumentative  

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Votre article est écrit pour être lu: il doit donc immédiatement accrocher le lecteur et lui donner envie de lire la suite. 

Le titre : il sera court, avec un seul verbe conjugué et il  pourra comporter un jeu de mots; On peut aussi y mentionner le nom d’un acteur célèbre et le titre de la pièce s’il s’agit d’une oeuvre connue. 

Le chapô

Il donne la couleur de l’article et apparait sous la forme le plus souvent d’une ou deux phrases qui précisent le cadre de la représentation (date, salle )  et la nature de l’objet dont on parle (pièce, film..) Le registre du blâme ou celui de l’éloge seront sans cesse utilisés ; on peut penser aussi aux connotations péjoratives ou mélioratives; Tous les moyens argumentatifs peuvent être employés selon leur efficacité : la question rhétorique, l’énumération, la concession ,le registre polémique  

le corps de l’article: il mêle habilement réception du spectacle (subjectivité ) et description des composantes de rapièce ( notations objectives ) 

La fin de l’article; elle doit avoir une valeur généralisante : Tout simplement superbe … A éviter à tout prix donc

 Quelques interdits : On n’emploie jamais le Je et on respecte le travail qui a été fourni par la troupe même si le spectacle ne nous a pas plus ; il est exclu d’injurier ou de vilipender ; les critiques si elles sont négatives prennent appui sur des élements factuels qui sont décrits avec précision.  La vérité n’existe pas dans le domaine de la critique d’art et cela demeure un domaine de liberté d’expression. 

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Alors à vos claviers ..

 Pensez que vous écrivez une  critique de spectacle qui doit comporter 

  • un titre 
  • Le chapô juste en dessous, va orienter la réception de l’article et préciser le cadre 
  • votre argumentaire va s’efforcer de lier les différents éléments du spectacle 
  • une touche finale

En mode numérique, efforcez-vous d’atteindre les  1200 signes ou 1/2 page Word. Vous ne pourrez jamais tout dire: ce n’est pas l’objectif ..juste ce que vous avez pu observer et apprécier 

 

 

08. mars 2017 · Commentaires fermés sur Commentaire littéraire : Rhinocéros : L’exposition · Catégories: Commentaires littéraires, Première · Tags:

 En guise d’introduction …

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La pièce de Ionesco, Rhinocéros est quelque peu étrange pour le spectateur à l’image de son titre énigmatique ;  Elle fait partie du théâtre de l’absurde qui se donne comme objectif de montrer  une certaine forme d’absence de sens de l’existence . Une épidémie de rhinocérite transforme brusquement les habitants d’une petite ville en pachydermes brutaux ; tous vont-ils y succomber ou certains résisteront-ils à cette épidémie. L’exposition s’ouvre avec comme décor la place d’un village , plus précisément la terrasse d’un café; deux amis  Jean et Béranger discutent et leur conversation va être interrompue par l’arrivée d’un troupeau de rhinocéros . Comment Ionesco parvient-il à faire surgir l’absurde d’une situation qui paraît banale?..Nous verrons tout d’abord qu’il s’agit d’une scène de la vie quotidienne perturbée par un événement fantastique qui annonce la tragédie à venir. 

Vous trouverez ci -dessous le plan détaillé du commentaire littéraire de ce texte proposé au bac blanc …

 

A Une scène de la vie ordinaire

1/ Des personnages ordinaires aux relations stéréotypées 

  • Personnages nombreux sur la scène.
  • Déterminant défini générique qui renvoie à un ensemble, à une catégorie que les personnages représentent : L’épicière…
  • Désignation des personnages fantaisiste : prénoms ou fonction ou désignation vague « Le vieux monsieur »
  • Des rapports de force marqués entre les personnages (sexe/social/ professionnel)

2/ Une dispute entre amis  

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  • Discussion autour de thèmes en apparence banals : la routine du travail « Tout le monde travaille […] tous les jours » ; les congés.
  • Ton véhément de Jean qui introduit un rapport agonistique dans la conversation : répétition de « moi aussi », répétition du marqueur d’opposition « pourtant », interjection « que diable !… » ; comparatif de supériorité « mieux que… » ; interrogation rhétorique « seriez-vous une nature supérieure ? » # Négations de Bérenger.
  • Jean est jaloux des relations sociales de Bérenger : ton ironique « Si vous vous en souvenez » et acrimonieux avec la répétition de « notre ami Auguste ? » + interrogations rhétoriques « Y suis-je allé moi ? » = mauvaise foi de Jean marquée par l’absence de logique de sa réfutation. 

 

3/ Une action routinière dans un cadre spatio-temporel réaliste

  • Un café ; une épicerie 
  • « Bonjour, Messieurs que désirez-vous boire ? » 
  • Une identification qui se fait par les lieux et le mode vestimentaire : chapeau mou, canne à pommeau d’ivoire ; petite moustache grise 
  • « La poussière soulevée par le fauve, se répand sur le plateau »➔Il n’y a plus rien à voir : scène peu importante…
  • Réduction de l’importance de la scène : « Il me semble, oui, c’était un rhinocéros »

 

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ion1.jpg, mar. 2017

B Un événement fantastique

  1. Un événement préparé et prolongé par le hors-scène
  • « A ce moment on entend le bruit très éloigné, mais se rapprochant vite, d’un souffle de fauve et de sa course précipitée, ainsi qu’un long barrissement. » ➔L’action est soustraite aux yeux des spectateurs, seule une bande sonore capte notre attention annonçant un bruit insolite et animal qui reste indéterminé.
  • « Bruits devenus énormes ; bruits de galop d’un animal puissant et lourd ; tout proches ; très accélérés » ➔ maintien du suspens + accroissement de la tension du spectateur et du lecteur à mesure que les bruits se rapprochent.
  • « en provenance de la gauche des “oh ! des “ah des pas de gens qui fuient. La poussière, soulevée par le fauve, se répand sur le plateau » ➔ les didascalies externes indiquent encore que l’événement se résume aux conséquences du passage du rhinocéros. Les spectateurs ne semblent pas le voir, ils ne peuvent que se l’imaginer en entendant les cris d’effroi ou de surprise des personnages qui se trouvent maintenant dans le hors scène côté cour. Mais à la bande sonore s’ajoute ici l’élément visuel de la poussière qui explique sans doute pourquoi le rhinocéros ne paraît pas à nos yeux. Cela accentue le mystère qui entoure cette apparition fugace.

 

2 Un événement inexplicable

  • Onomatopées + Phrases nominales + Modalités interrogative et exclamative ➔ surprise des personnages qui ne s’attendait pas à voir un rhinocéros en liberté.
  • « Oh ! un rhinocéros ! » ➔ caractère insolite de la présence du pachyderme dans une petite ville de province, où il n’y a ni cirque ni zoo.
  • « Les bruits produits par l’animal s’éloigneront à la même vitesse » + « tomber » x2 + « une bouteille se brise » ➔ Un événement fugace et violent. Nous ne savons d’où vient le rhinocéros, il renverse tout sur son passage et d’ailleurs il disparaît aussi vite qu’il apparaît nous laissant dans l’incapacité d’expliquer quoi que ce soit. Rien ne justifie sa présence et sa course effrénée.

3 Un événement bouleversant

  • « Mais qu’est-ce que c’est ? » x2 ; « Oh ! », « ah ! » ; « il remue les lèvres ; on n’entend pas ce qu’il dit » ➔ Cet événement provoque l’incompréhension et le désordre dans les discours des personnages qui devient cacophonique et inaudible.
  • « fait tomber sa chaise » « laisse tomber son panier, ses provisions se répandent sur la scène » ➔ Les objets se renversent comme le laisse entendre les verbes tomber et répandre et manifestent sans doute, de façon symbolique, le bouleversement des personnages qui ne se maîtrisent plus et ne les maîtrisent plus.
  • « Le Vieux Monsieur élégant […] se précipite dans la boutique des épiciers, les bouscule, entre, tandis que le Logicien ira se plaquer contre le mur » </i>; « des pas de gens qui fuient » </i>; « Ce que j’ai eu peur ! »➔ L’événement est encore une source d’actions qui traduisent la peur des personnages comme le dénotent les verbes ainsi que la forme exclamative et emphatique de la réplique finale de la ménagère.

C/  Une scène qui révèle l’absurdité des hommes et annonce le tragique à venir

  1. Une existence humaine comique
  • Le comique du langage : répétitions
  • Comique de situation : « Bérenger, toujours indolent » ; « il remue les lèvres ; on n’entend pas ce qu’il dit ».
  • « se lève d’un bond, fait tomber sa chaise en se levant »# « Bérenger, toujours un peu vaseux, reste assis »// « se précipite », « les bouscule », « le logicien ira se plaquer contre le mur du fond » ; « éternue »/ « éternue »/ « se mouche » ➔ Comique de farce

 

2 . Des répliques qui marquent la faillite du langage

  • Impossibilité de s’entendre : « criant presque pour se faire entendre ».
  • Le  sens du mot « devoir » est ramené à son degré le plus bas (décalage entre l’abstrait et le concret)
  • Décalage que l’on retrouve dans les postures des personnages
  • Une parole appauvrie qui se réduit à des monosyllabes
  • Une parole illogique : « et pourtant vous me voyez » conclusion étrange si on ne se réfère pas à la situation d’énonciation et à la gestuelle qui doit accompagner le discours (ici l’absence de didascalies nourrit l’équivocité et souligne l’absurdité d’un logos déraisonnable) // « Tout le monde doit s’y faire. Seriez-vous une nature supérieure ? » // « C’est peut-être justement que vous n’avez pas été invité ! »

 

3. Une existence dont la vacuité semble devoir être comblée par la violence.

  • « Tout le monde travaille […], moi aussi […] je fais tous les jours mes huit heures de bureau » ; « je n’ai que vingt et un jour de congé par an » ➔ sentiment d’asservissement au travail
  • « Et pourtant vous me voyez »➔ l’absence de didascalies qui explique la situation d’énonciation dans laquelle est prononcée cette réplique rend possible l’interprétation philosophique ou ontologique selon laquelle l’existence de Jean et des gens qui lui ressemblent (l’homonymie nous autorise encore cette explication) se réduit à une simple présence sans véritable pensée digne de ce nom.
  • « je ne m’y fais pas, à la vie » ➔ Difficulté de vivre et souffrance de l’homme obligé de supporter sa condition.
  • « bruits forts », « énormes », « Il fonce droit devant lui, frôle les étalages ! », « Viens voir ! », « Tous suivent du regard […] la course du fauve » ➔ Attirance et fascination pour la violence comme le traduisent les jeux de regards et la curiosité des personnages spectateurs de leur propre Histoire. Ce jeu de regard reflète d’ailleurs le public encouragé à réfléchir sur sa position devant la scène mais également devant le théâtre du monde (il s’agit là d’une mise en abyme). Dans ce cadre le rhinocéros serait une manifestation métaphorique des totalitarismes qui sévissent encore après la Seconde Guerre mondiale.

CCL. : Résistance de Bérenger qui agit à contre-courant mais cela est-il dû aux effets encore persistants de ses libations ? Est-il un original ou s’oppose-t-il consciemment aux réactions de la foule ? 

 

 

 

15. février 2017 · Commentaires fermés sur Disserter sur la notion de distance au théâtre : apprendre à faire des dissertations · Catégories: Fiches méthode · Tags:
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Le bourgeois selon Bigard: un décalage comique 

Dans quelle mesure peut-on affirmer que le théâtre joue avec les écarts et les distances pour mieux représenter notre monde, le donner à voir et à penser ?  La question mérite d’être posée et pour pouvoir y répondre avec précision, il faut d’abord prendre le temps de la réflexion. Vous n’avez jamais fait de dissertation : peu importe, il faut bien commencer un jour et vous lancer …que vosu faut -il ? des idées sur le sujet, des arguments, des titres de pièce qui vont vous servir de preuves de ce que vous avancez et un minimum d’organisation ..c’est parti pour une présentation des recherches autour de ce sujet …

Conseils pour démarrer 

  • Interroger la relation entre le corpus et le sujet proposé aux candidats;

Les textes regroupés proposent des  situations étranges ou des événements étranges au regard d’un contexte ou de l’évolution d’une situation ; une tragédie illustre la victoire d’une sorcière meurtrière ; un dramaturge met en scène un  ancien roi de Thèbes , assassiné par son fils ,sous la  forme d’un fantôme qui se désespère aux apparitions étonnantes ; enfin Beckett campe deux SDF à la conversation décousue et vide de sens tandis que Ionesco fait surgir un rhinocéros sur la place d’un village sous les yeux médusés de la foule: seul Bérenger ne donne aucun signe d’étonnement . ainsi que certains l’ont envisagé dans leur question de synthèse, ces événements sont symboliques et rendent concrets,  représentables , des idées abstraites . Ces événements étranges représenteraient donc un moyen détourné de figurer une réalité; Ionesco, par exemple, envisage l’épidémie de rhinocérite comme une figure  concrète de la montée du totalitarisme durant les années 30. 

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Il attend Godot 

Lorsqu’on analyse le sujet , la notion d’écart peut poser problème : de quel écart  s’agit-il au juste et comment une distance peut-elle se marquer sur scène ? 

Dans une dissertation, l’étape de la documentation ne doit pas être négligée ; En effet, si le jour de  l’examen, le candidat ne dispose que des textes du corpus et de la mémorisation de se cours, à la maison, il peut s’en remettre à de nombreux ouvrage documentaires et utiliser bon escient les ressources d’internet. 

  • Comment se documenter ? 

L’histoire du théâtre peut nous fournir des pistes de réponse ainsi que les notes et les essais des dramaturges aux différentes époques . On consultera , avec profit , des citations extraites , par exemple, de Notes et Contre-notes de Ionesco 

Un drame historique peut , par exemple, évoquer des problèmes contemporains  en plaçant une intrigue dans un autre pays et à une époque reculée. (notion d’écart, de mise à distance )

Victor Hugo utilise cette technique  dans de nombreuses compositions comme Hernani, ou  Ruy Blas </b>; l’action de ce drame romantique se situe en Espagne après le règne de Charles Quint mais on y retrouve des allusions politiques à la Restauration, régime décrié par Hugo . 

Giraudoux dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu , pièce jouée en 1937, fait de nombreuses références à la première guerre mondiale et à l’ascension politique  d’Hitler à la tête du Reich ; Le contexte mythologique, le même que celui qu’utilise Anouilh dans La Machine infernale, contribue à créer cette notion d’écart. La réalité d’une situation contemporaine ou proche se dissimule sous le voile du mythe et la mise à distance agit comme un puissant révélateur

Bertold Brecht nomme cette idée le Verfremdungseffekt (de l’allemand fremd : étrange, étranger, inconnu); il a théorisé dans se pièces  la distanciation au théâtre en vue, explique-t-il de la désaliénation du spectateur, c’est-à-dire la réduction de sa passivité. 

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Comment rendre davantage le spectateur actif ? Pour de nombreux dramaturges contemporains, il est nécessaire de rompre avec les conventions théâtrales classiques et notamment avec l’idée d’illusion théâtrale.  Ils inventent alors des dispositifs qui mettent en évidence les discours orchestrés par le spectacle. Le théâtre est déjà une distanciation de la réalité. Il n’est bien entendu pas la réalité. Techniquement, le dramaturge a plusieurs moyens à sa disposition:  il peut introduire des contradictions du texte lui-même au sein de la pièce, du jeu d’acteur, (on demande alors aux acteurs de surjouer par exemple ou de jouer de manière totalement stéréotypée, sans émotion )ou mettre en place une double énonciation ; sur ce plan, certains dramaturges peuvent utiliser  le chant, les commentaires d’un choeur comme dans l’Antiquité,  ou une narration discontinue séparée par des commentaires par exemple. Il s’agit d’une rupture avec la vision du théâtre que Brecht appelle aristotélicien .

La distanciation chez Brecht est intimement liée à un projet politique visant à rendre l’homme conscient de sa capacité à transformer son environnement. 

Aujourd’hui, sans aller aussi loin que le dramaturge allemand, de nombreux auteurs conscients des mécanismes qui facilitent l’illusion , s’emploient à briser le quatrième mur notamment en proposant , par exemple, des incursions d’acteurs au sein même de l’espace du public ou construisent des mises en abyme à l’intérieur de leurs propres spectacles . Ainsi, dans Les Optimistes , une création contemporaine du théâtre Majaaz, certains acteurs sur scène jouent le rôle de spectateurs de l’histoire de leurs ancêtres ; le petit-fils d’un émigré israélien arrive dans la maison de son grand-père , un juif rescapé des camps, et découvre l’histoire de ce colon israélien et la manière dont il s’est opposé au cours de l’Histoire en aidant des palestiniens à mieux vivre leur exil. Samuel devient ainsi le spectateur de cette partie de l’histoire qui précède sa propre naissance et le public , à son tour, vit des émotions à travers les découvertes de ce personnage mis  en quelque sorte à l’écart.

 Cette technique de mise en abîme n’est pas récente : Corneille, dans L’Illusion Comique, avait créé une représentation à l’intérieur de sa propre comédie dans le but de faire réfléchir le public au statut du comédien; en effet,  une aristocrate tente grâce à un magicien de retrouver son fils disparu qu’elle croit mort; le mage Alcandre fait apparaitre sous ses yeux Clindor le fils perdu et le montre, qui risque sa vie, au sein de différentes intrigues ; il est en réalité devenu comédien et ce n’est que lorsque le rideau tombe  que ses parents comprennent la vérité et se réjouissent d’avoir retrouvé leur fils vivant. Corneille en profite alors pour faire l’éloge du théâtre en montrant qu’il est le royaume des illusions mais que paradoxalement ; sous ses dehors mensongers et avec tous ses artifices  , il nous fait entrevoir de grandes vérités sur la nature humaine. 

Cette révélation de la vérité de la nature humaine peut également être obtenue à partir de situations que nous pouvons, de prime abord, juger fort éloignées de situations ordinaires. 

Beckett dans En attendant Godot fabrique  deux personnages qui se comportent de manière fort étrange et fort éloignée de ce que nous avons l’habitude de voir ou d’entendre; Leurs propos sont incohérents et on pourrait les prendre pour des fous : ils changent d’humeur sans cesse et leurs gestes sont en contradiction avec leurs paroles. Cet écart permet de mieux mesurer l’absurdité de notre condition humaine : dans l’attente d’un énigmatique personnage qui leur a donné rendez-vous et qui ne vient pas (Godot qui peut signifier Dieu) , ils sont à la fois paralysés et agités, tristes et joyeux, sans passé et sans avenir . Ces deux marionnettes figurent nos contradictions essentielles te nos tourments intérieurs. 

L’écart peut également consister à adapter une action à un nouveau contexte en changeant de costumes par exemple; Ainsi lorsque le comique français Jean- Marie Bigard dans le rôle titre , décida de monter Le Bourgeois Gentilhomme  de Molière , il déguisa Monsieur Jourdain en sportif affublé d’un blouson Lacoste , d’un survêtement Nike  et avec un bâton de ski en guise de canne car ce dernier avait fait fortune en vendant des articles de sport. Le public perçoit assez rapidement un écran entre la langue de Molière et la tenue moderne des personnages et cet écart peut amuser.

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L’île des esclaves

Lorsque le théâtre de l’Atelier fit jouer L’ile des esclaves, une comédie  de Marivaux  où maîtres et serviteurs échangent leurs rôles, le point de départ de l’action représente un départ au ski et un accident de train tient lieu de naufrage.Le travail du metteur en scène ici a consisté à moderniser la pièce et à réduire justement l’écart entre l’époque du dramaturge et celle du public. Il s’amuse à combler une partie du cette distance liée à l’époque lointaine où la pièce fut imaginée.

  • Comment classer les idées ? 

Une fois qu’au brouillon, vous avez noté les différents exemples qui vont vous servir à argumenter, il est temps de penser à faire un plan pour y ranger toute vos idées . Un plan satisfaisant est celui qui vous permet de délimiter un ensemble de cas qui vérifient la thèse, en montrent les limites et y proposent des nuances ou des correctifs. Ce type de plan est nommé dialectique et  on le schématise de la manière suivante : OUI souvent/ NON parfois/ dans certains cas seulement ..

Propositions d’organisation : on peut tenter de lister les différents types d’écart

les différents types d’écart ou de distance et  les explications du rôle qu’il jouent  

a) entre le quotidien et l’action représentée 

b) entre les personnages complexes et les créatures stéréotypées 

c) entre l’époque du spectateur et l’époque de la pièce 

Ces trois grands axes doivent maintenant être développés au moyen d’arguments et d’ exemples concrets (au moins un titre par partie )  

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L’illusion comique 

On peut en même temps réfléchir sur les limites ou les absences d’écart: l’illusion théâtrale nous plonge dans le spectacle et efface les écarts alors que  l’intervention de récitants ou de choeur ou de personnages extérieurs renforcent l’invraisemblance et donc maintiennent l’écart entre la réalité et le spectacle . 

Le rangement final : on tente ensuite de faire entrer les exemples dans chacune des catégories définies : où allez- vous caser le théâtre de l’Absurde? le recours au mythe ? la modernisation des pièces ? le drame romantique de Hugo ? la transformation des costumes ? la mise en abime ? le registre merveilleux ? le registre fantastique ou surnaturel ? les anachronismes ? 

On tente de trouver d’autres illustrations en faisant appel à sa mémoire, aux pièces vues, lues ou étudiées…

et on réfléchit à une conclusion …

15. février 2017 · Commentaires fermés sur L’étrange en scène : représenter l’étrange au théâtre. · Catégories: Fiches méthode · Tags:
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Le premier sujet de bac de cette année comportait un corpus autour de l’étrange; Un extrait de Médée de Pierre Corneille  montrait, dans le dénouement, une violente altercation entre Jason et  son épouse Médée qui s’enfuit dans un char tiré par des dragons grâce à ses pouvoirs magiques; Cette tragédie baroque tirée d’un mythe célèbre, celui de la sorcière et  cruelle infanticide Médée  propose aux spectateurs une fin tragique qui repose sur les principes préconisés par Aristote : terreur et pitié. Trois autres pièces reposaient sur le mélange des registres au xx ème siècle ; Cocteau reprend également un autre mythe fameux: celui d’Oedipe, dans sa pièce  La Machine infernale qui propose aux spectateurs un fantôme pathétique et comique à la fois: celui de Laios, père  et première victime d’Oedipe . Cette étrange créature apparaît aux gardes qui le trouvent fort attachant  et se plaint  amèrement de ne pouvoir disparaître à volonté . L’effet comique est ici lié à la fois au décalage de ton et à la figure même du spectre.

Les deux autres pièces qui complètent ce corpus sont représentatives du théâtre de l’Absurde , qui apparait dans les années 50; Ionesco met en scène un rhinocéros, créature surgie mystérieusement et qui va diviser progressivement les personnages pour révéler leur véritable nature : conformiste ou non. Ce monstre qui symbolise la montée des régimes totalitaires est mis en scène au moyen d’effets comiques . Quant à Beckett, il nous propose une étrange situation et une conversation non moins étrange entre deux êtres bizarres dont les propos et le comportement nbosu paraissent vides de sens ; Comique te tragique es mêlent pour illustrer la vacuité de l’existence. 

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mise en scène Cocteau

Voici d’abord quelques éléments de corrigé pour la question de corpus : vous trouverez des éléments pour la dissertation dans la catégorie fiche méthode . 

Eléments de correction pour la réponse de synthèse 

 

Introduction : pas trop longue mais qui doit comporter les éléments essentiels pour situer les textes 

  • Présenter les textes : 4 pièces de théâtre : pièce du XVIIème siècle : tragédie classique de Corneille Médée + pièces du XXème siècle La Machine infernale de Jean Cocteau, En attendant Godot de Samuel Beckett et Rhinocéros d’Eugène Ionesco
  • Reformuler la question : Quels sont les éléments surprenants et inhabituels pour le lecteur ou le spectateur dans ces pièces ? En quoi ces extraits peuvent-ils surprendre et ainsi présenter une forme d’étrangeté ?
  • Définitions du TLF pour « étrange » : « 1) Synonyme d’étranger ; 2) Qui est hors du commun, qui sort de l’ordinaire, inhabituel. 3) (Vieilli) Terrible, excessif, inconvenant. 4) (Usuel) Qui surprend l’esprit, les sens par un (ou des) caractère(s) inhabituel(s); singulier, extraordinaire. »

3 points pouvaient être dégagés et abordés séparèment

1.Une étrangeté liée à la présence d’événements extraordinaires (texte C exclu) :

Le merveilleux (T.A et B) : les dragons (pièce à machine), la sorcière et la magie et fantôme :

Registre merveilleux : mélange du surnaturel et de la réalité (différent du fantastique dans le sens où pour le merveilleux le lecteur accepte d’entrer dans un univers magique) : dans le texte de Corneille, Médée est une sorcière et use de ses pouvoirs magiques, elle est « dans un char tiré par deux dragons » comme l’indique les didascalies. Dans l’extrait de Cocteau, les deux soldats parlent à leur chef d’un « fantôme » (ligne 2) qui vient hanter la ville de Thèbes. Le mort, et même « la mort » (ligne 18), rencontre les « vivants » (ligne 18).    

Le fantastique (T.B et D) : survenue d’un rhinocéros et d’un fantôme ➔décalage par rapport au cadre réaliste mis en place par les textes :

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Vladimir et Estragon

Registre fantastique : naissance du surnaturel dans un cadre réaliste : Dans la pièce de Cocteau, le fantôme du père d’Œdipe apparaît dans « les remparts de Thèbes » et s’entretient avec les soldats. Les personnages semblent réalistes : deux soldats de la garde de nuit et leur chef. En revanche, le fantôme, créature surnaturelle, rompt toute vraisemblance et surprend par son caractère inattendu et décalé. La réplique du soldat « On était crevés de fatigue » donne l’impression que les soldats ont rêvé de cette apparition étrange ; le cadre réaliste est ainsi restitué. 

Dans le texte de Ionesco, les personnages Jean et Béranger « assis à la terrasse d’un café » (première didascalie) sont aussi présentés dans un cadre réaliste, un lieu du quotidien ; la conversation entre ces deux amis est banale et habituelle (travail, invitation à un anniversaire…) mais la présence inattendue dans la ville d’un rhinocéros – animal féroce qu’on ne peut imaginer en liberté dans la ville – vient fissurer également l’univers réaliste.  

    2  Une étrangeté liée à l’absurdité des situations présentées dans les textes : 

Déconstruction des personnages (T.C et D), absences d’action véritable (T.C) ou actions stéréotypées : 

personnages stéréotypés et caricaturaux : Estragon semble incapable d’effectuer une action banale (enlever ses chaussures), Vladimir fait des gestes étranges et incompréhensibles (avec son chapeau, en décalage avec ce qu’il dit « je t’embrasse. (Il tend la main) » ; dans Rhinocéros, tous les personnages semblent se ressembler (mis à part Bérenger) tels des pantins obnubilés par le rhinocéros. En outre, dans l’extrait de Beckett, Estragon et Vladimir qui attendent Godot ne font strictement rien: la seule action est l’attente.   

 Effet de décalage dans les dialogue:  dialogue de sourds chez Beckett, Ionesco => réponses inattendues et décalées dans le temps 

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Jean et Bérenger 

 Ambiguïté de la relation entre les personnages  

– mini-dispute entre les amis Jean et Bérenger

– attitude lunatique (entre amour et haine) pour Estragon et Vladimir

3. Une étrangeté liée au mélange du tragique et du comique :

La violence de l’Histoire (texte C et D) et la présence de la mort (T.A et B) :

  • 1952 et 1959 : après-guerre => théâtre de l’absurde (+existentialisme) : montée des totalitarismes + 2nde guerre mondiale ; absurdité de la vie (son non-sens)
  • Les meurtriers : Médée (infanticide…) et Œdipe (parricide) 
  • Le comique de mots (répétitions) et de situation (T.B, C et D) # pas dans le texte A où il n’y a que du tragique :
  • Cocteau : « Viendra […] Viendra pas… […] Viendra… » : enfantillages 

Absurdité du langage : « Je mourrai ma dernière mort » : impossible, on ne meurt qu’une fois

  • Beckett : « Tu as eu mal ? […] Mal ! Il me demande si j’ai mal ! » x 2
  • Ionesco : stichomythies « Oh, un rhinocéros ! » comique de répétition

CCL. : Principale opposition, dans les textes du XXème siècle, le théâtre est dégagé du merveilleux. Celui-ci présente des situations en lien avec le réel et l’histoire immédiate dont l’absurdité violente égale en étrangeté le merveilleux des mythes rapportés par les pièces classiques. L’étrangeté des textes du XXème vient encore du mélange de tragique et du comique qu’on ne retrouve pas dans le texte de Corneille. C’est ainsi que Jean Cocteau modernise le mythe d’Œdipe et crée des effets de décalage pour le spectateur.  

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Rhinocéros mise en scène Demarcy-Mota

 

23. janvier 2017 · Commentaires fermés sur Panorama des critiques autour de Ruy Blas · Catégories: Seconde · Tags: ,

De nombreux reproches ont été adressés au drame romantique , particulièrement à ses débuts (Souvenez-vous de la célèbre bataille d’Hernani ) et la pièce de Hugo , jouée pour la première fois en 1838, n’a pas été épargnée. En 1880, Zola se montrait particulièrement sévère dans son jugement et reprochait notamment à Hugo d’avoir falsifié la vérité et imaginé un conte de fées abracadabrant. Les lecteurs actuels n’apprécient pas toujours la beauté de ce drame et peuvent eux aussi se montrer de  vigoureux critiques.

Votre sujet d’invention consistait , dans les deux cas, à imaginer la défense de Victor Hugo: ce dernier devait répondre à ses détracteurs sous la forme d’une lettre qui contient ses arguments; les critères d’évaluation sont au nombre de 4

  • la qualité de votre écriture  4 pts
  • la prise en compte de la nature des critiques 4 pts
  • l’invention d’arguments variés et pertinents 4 pts
  • l’utilisation de l ‘oeuvre en elle-même dont certains passages précis illustrent les arguments théoriques  4 pts

 

21. janvier 2017 · Commentaires fermés sur Polémique autour de Ruy Blas · Catégories: Seconde · Tags: ,
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Zola s’attaque à Hugo

Emile Zola admire en Victor Hugo le poète lyrique mais il critique sa prétention à vouloir , à travers son drame romantique, représenter les ambitions du Peuple; On peut d’abord se demander si les critiques de Zola paraissent fondées et s’il a raison de reprocher à Hugo ses contre-sens historiques . On peut également émettre l’hypothèse que les deux auteurs n’ont pas la même conception du rôle du théâtre en particulier et de la littérature ,en général.N’oublions pas que cette lettre de Zola est publiée en 1880 soit presque 50 ans après la parution de la pièce.

Comment répondre aux critiques de Zola ? Une première étape consistait à prolonger les analyses du cours et à formuler clairement ce qui est critiqué par le romancier naturaliste  en reprenant point par point les accusations formulées.

Vous trouverez en rouge dans le document les principaux reproches de Zola, en jaune les éléments qu’il admire dans l’oeuvre; en vert apparaît la conception de l’écriture et de l’oeuvre artistique et en bleu les interprétations de Zola qui sont discutables.

Et nous venons bien de le voir, à cette représentation de Ruy Blas, qui a soulevé un si grand enthousiasme.

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Zola himself

        C’était le poète, le rhétoricien superbe qu’on applaudissait. Il a renouvelé la langue, il a écrit des vers qui ont l’éclat de l’or et la sonorité du bronze. Dans aucune littérature, je ne connais une poésie plus large ni plus savante, d’un souffle plus lyrique, d’une vie plus intense.
        Mais personne, à coup sûr, n’acclamait la philosophie, la vérité de l’œuvre. Si l’on met à part le clan des admirateurs farouches […] tout le monde hausse les épaules aujourd’hui devant les invraisemblances de Ruy Blas. On est obligé de prendre ce drame comme un conte de fée sur lequel l’auteur a brodé une merveilleuse poésie. Dès qu’on l’examine au point de vue de l’histoire et de la logique humaine, dès qu’on tâche d’en tirer des vérités pratiques, des faits, des documents, on entre dans un chaos stupéfiant d’erreurs et de mensonges, on tombe dans le vide de la démence lyrique.

        Le plus singulier c’est que Victor Hugo a eu la prétention de cacher un symbole sous le lyrisme de Ruy Blas. Il faut lire la préface et voir comment, dans l’esprit de l’auteur, ce laquais amoureux d’une reine personnifie le peuple tendant vers la liberté, tandis que don Salluste et don César représentent la noblesse d’une monarchie agonisante. On sait combien les symboles sont complaisants […] Seulement celui-ci, en vérité, se moque par trop du monde.

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        Voyez-vous le peuple dans Ruy Blas, dans ce laquais de fantaisie qui a été au collège, qui rimait des odes avant de porter la livrée, qui n’a jamais touché un outil et qui, au lieu d’apprendre un métier, se chauffe au soleil et tombe amoureux des duchesses et des reines ! Ruy Blas est un bohème, un déclassé, un inutile : il n’a jamais été le peuple. D’ailleurs admettons un instant qu’il soit le peuple, examinons comment il se comporte, tâchons de savoir où il va. Ici, tout se détraque. Le peuple poussé par la noblesse à aimer une reine, le peuple devenu grand ministre et perdant son temps à faire des discours, le peuple tuant la noblesse et s’empoisonnant ensuite : quel est ce galimatias ? Que devient le fameux symbole ? Si le peuple se tue sottement, sans cause aucune, après avoir supprimé la noblesse, la société est finie.
        On sent ici la misère de cette intrigue extravagante, qui devient absolument folle, dès que le poète s’avise de vouloir lui faire signifier quelque chose de sérieux. Je n’insisterai pas davantage sur les énormités de Ruy Blas, au point de vue du bon sens et de la simple logique.

        Comme poème lyrique, je le répète, l’œuvre est d’une facture merveilleuse ; mais il ne faut pas une minute vouloir y chercher autre chose, des documents humains des idées nettes, une méthode analytique, un système philosophique précis. C’est de la musique et rien autre chose.

        J’arrive à un second point. Ruy Blas, dit-on, est un envolement dans l’idéal ; de là, toutes sortes de précieux effets : il agrandit les âmes, il pousse aux belles actions, il rafraîchit et réconforte. Qu’importe si ce n’est qu’un mensonge ! il nous enlève à notre vie vulgaire et nous mène sur les sommets. On respire, loin des œuvres immondes du naturalisme. Nous touchons ici le point le plus délicat de la querelle.

        Sans le traiter encore à fond, voyons donc ce que Ruy Blas contient de vertu et d’honneur. Il faut d’abord écarter don Salluste et don César. Le premier est Satan, comme dit Victor Hugo ; quant au second, malgré son respect chevaleresque de la femme, il montre une moralité douteuse. Passons à la reine. Cette reine se conduit fort mal en prenant un amant ; je sais bien qu’elle s’ennuie et que son mari a le tort de beaucoup chasser : mais, en vérité, si toutes les femmes qui s’ennuient prenaient des amants, cela ferait pousser des adultères dans chaque famille. Enfin, voilà Ruy Blas, et celui-là n’est qu’un chevalier d’industrie, qui, dans la vie réelle, passerait en cour d’assises. Eh quoi ! ce laquais a accepté la reine des mains de don Salluste ; il consent à entrer dans cette tromperie, qui devrait paraître au spectateur d’autant plus lâche que don César, le gueux, l’ami des voleurs, vient de la flétrir dans deux superbes tirades ; il fait plus, il vole un nom qui n’est pas le sien. Puis, il porte ce nom pendant un an, il trompe une reine, une cour entière, tout un peuple et ces vilenies, il s’en rend coupable pour consommer un adultère ; et il comprend si bien la traîtrise, l’ordure de sa conduite, qu’il finit par s’empoisonner ! Mais cet homme n’est qu’un débauché et un filou !Mon  âme ne s’agrandit pas du tout en sa compagnie. Je dirai même que mon âme s’emplit de dégoût car je vais malgré moi au-delà des vers du poète, dès que je veux rétablir les faits et me rendre compte de ce qu’il ne montre pas ; je vois alors ce laquais dans les bras de cette reine, et cela n’est pas propre.

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        Au fond Ruy Blas n’est qu’une monstrueuse aventure qui sent le boudoir et la cuisine. Victor Hugo a beau emporter son drame dans le bleu du lyrisme, la réalité qui se trouve par-dessous est infâme. Malgré le coup d’aile des vers, les faits s’imposent, cette histoire n’est pas seulement folle, elle est ordurière ; elle ne pousse pas aux belles actions, puisque les personnages ne commettent que des saletés ou des gredineries, elle ne rafraîchit pas et ne réconforte pas, puisqu’elle commence dans la boue et finit dans le sang. Tels sont les faits.

        Maintenant si nous passons aux vers, il est très vrai qu’ils expriment souvent les plus beaux sentiments du monde. Don César fait des phrases sur le respect qu’on doit aux femmes ; la reine fait des phrases sur les sublimités de l’amour ; Ruy Blas fait des phrases sur les ministres qui volent l’État. Toujours des phrases, oh ! des phrases tant qu’on veut !
        Est-ce que par hasard les vers seuls seraient chargés de l’agrandissement des âmes ? Mon Dieu ! oui, et voilà où je voulais en arriver : il s’agit simplement ici d’une vertu et d’un honneur de rhétorique. Le romantisme, le lyrisme met tout dans les mots. Ce sont les mots gonflés, hypertrophiés, éclatant sous l’exagération baroque de l’idée. L’exemple n’est-il pas frappant : dans les faits, de la démence et de l’ordure ; dans les mots, de la passion noble, de la vertu fière de l’honnêteté supérieure. Tout cela ne repose plus sur rien : c’est une construction de langue bâtie en l’air. Voilà le romantisme. […]

        Victor Hugo reste un grand poète, le plus grand des poètes lyriques. Mais le siècle s’est dégagé de lui, l’idée scientifique s’impose. Dans Ruy Blas, c’est le rhétoricien que nous applaudissons. Le philosophe et le moraliste nous font sourire.

 

Émile Zola, Lettre à la jeunesse (fragments).
À propos de l’entrée de Ruy Blas à la Comédie-Française, en août 1880

20. décembre 2016 · Commentaires fermés sur Défi théâtre : les vainqueurs ? · Catégories: Sorties · Tags:

Les grands gagnants de ce défi théâtre sont ..les élèves qui se sont amusés à la fois durant les  séances de préparation, qui ont fait travailler leur imagination et qui ont endossé des rôles de composition durant les répétitions et la représentation. 

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Deux classes, deux styles et deux approches d’un grand classique source inaltérable d’inspiration. A la barre sont venues témoigner les victimes concentrées et parfois consentantes de Don Juan ; ils étaient ,pour certains, tout à fait dans leur élément; et pour d’autres, ils ont osé monter sur sur scène pour affronter les feux de la rampe  et un public exigeant ..

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16. décembre 2016 · Commentaires fermés sur Graines de vedettes : le défi théâtre des 202 et des 208. · Catégories: Sorties · Tags:
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Sous la houlette de leurs professeurs de français, les élèves de seconde 2 et de seconde 8 ont représenté , dans la salle polyvalente deux pièces de théâtre de 40 minutes environ qu’ils ont entièrement réalisées en moins de 3 semaines; L’exploit mérité d’être souligné ..et ce n’est pas le moindre; Répartis en groupes de travail autonomes, et aidés par leurs camarades qui s’improvisèrent metteurs en scène ou technicien de régie, les élèves ont revisité le grand classique de Molière  Don Juan, pour notre plus grand plaisir. 

Autopsie d’un projet devenu procès : il leur a fallu tout faire en classe ; Tout d’abord, inventer leurs textes et imaginer une

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salle d’audience au sein de laquelle les personnages de la pièce viendraient témoigner à charge ou au contraire, viendraient tenter de nous convaincre d’épargner ce “grand seigneur méchant homme ” ; Chacun s’est investi dans son personnage avec plus ou moins de conviction .  Mention spéciale d’interprétation à Théo et Ethan pour la métamorphose des deux paysans Pierrot et Lucas en fans de Johnny quelque peu avinés et maladroits. Parmi les candidats à la don Juan Attitude, Alex était particulièrement convaincant en  séducteur cynique face à une Brigitte survoltée qu’il a fallu faire évacuer par nos gendarmes de service, très à l’aise dans leur prestation;

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Alexis en perfide volage a réussi à faire chavirer les coeurs de ses dames face à une Elvire particulièrement touchante et sincère. Nos avocats de choc: maître Elie alias Gims, Maitre Ioda et Maitre Centimètre ont eu beaucoup de mal à plaider les circonstances atténuantes; Léa et Clara jouèrent à merveille les deux paysannes rivales et Bakthawa en ex- conquête délaissée parvint à tirer son épingle du jeu. Jalel dut, quant à lui, affronter  le couple de ses parents constitué de Yavuz en père autoritaire et de Yassine en mère protectrice façon babouche et voile;  Le rôle du pauvre homme des bois fut interprété avec prestance par Exaucé qui, même s’il avait oublié une partie de son texte, sut s’attirer les faveurs du public avec son numéro de mendiant ; Quant à Lorenzo, il avait été choisi pour succomber sur scène face aux spectres à trois têtes incarnés par Lylia, Lamia et Salmata, toutes de noir vêtues. Enfin il ne faudrait pas oublier notre juge déjantée, Eva alias  lapin-panthère rose,  qui a su rythmer le spectacle et gérer les allées et venues des acteurs; Aux commandes : Amélie et Axelle en photoshoppeuse, Alec à l’ordi et enfin celle qui lancé le spectacle et qui avait appris par coeur son texte: Mademoiselle Deborah, la journaliste envoyée spéciale. Je n’oublie pas Yanis accusé de tromperie, Sami en grand frère méchant pas vraiment méchant, Mustapha en colère de ne pas avoir été payé par ce maître abusif et notre Don Juanne de choc, Sanaa dont le duo avec Jovannah fut particulièrement réussi et apprécié par le public. 

Un grand grand bravo à toute la classe qui a su s’investir et mener à bien ce projet pour notre plus grand plaisir: celui de spectateur ce 15 décembre . Et à l’année prochaine ..

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15 décembre