Août
03

Tentons ici, afin de poursuivre notre réflexion entamée il y a de cela plus de 3 semaines, de réfléchir encore un peu sur tout ce qui concerne l’amitié, l’amour et le lien entre les deux. Je n’aurai certes pas la prétention de vouloir ici trancher le débat mais en revanche de glisser quelques citations, à conserver, afin d’aider, modestement, nos millions de lecteurs à se faire tout à la fois, si ce n’est une opinion, du moins un questionnement, et, surtout, pour les zélèves, un début de culture en vue du bac de philo, si, si, si, j’ai toujours vu très loin, pour les zélèves!

Débutons avec la citation mise en titre, que nous devons à monsieur de la Bruyère, pour lequel, le siècle et les tournures aidant, j’ai aussi beaucoup d’affection. Avec cette citation il semble bien que nous ayons une frontière infranchissable entre ces deux émotions, entre ces deux sentiments.  A  tel point que, face au Temps (il n’est jamais loin avec moi), le même auteur puisse affirmer: “le temps qui fortifie les amitiés affaiblit l’amour”, idée qui peut être interprétée de différentes manières, ce qui revient alors à donner plus de poids et de valeur à l’un plus qu’à l’autre de ces sentiments. Cela peut paraître normal, mais, pourquoi devoir opérer une gradation dans l’échelle des valeurs entre deux sentiments qui, ici, semblent présentés comme opposés? Ne serait-ce pas car, finalement, on leur peut trouver un lien? Les Grecs anciens, pères de la philosophie, ne me contrediraient assurément pas, eux qui, pour désigner le terme d’amour, avaient 3 mots: eros, philia et agapè, le premier se référant à l’amour dans son acception physique, le deuxième se traduit en français par le terme d’amitié, le troisième par celui de charité.

Ainsi, pouvons nous mieux comprendre (et ce n’est pas une mince affaire, car il est Anglais) lord Byron, pour qui, “l’amitié est l’amour sans ailes”, qui donc met à la fois un lien entre les deux sentiment tout en les hiérarchisant et en, on l’ a compris, posant sur un piédestal l’amour. C’est donc tout naturellement qu’une française, madame d’Houdetot contredit notre lord en affirmant, elle, que “l’amour est à la portée de tous mais l’amitié est l’épreuve du coeur”, ce qui revient à confier à l’amitié une attitude plus élitiste.

Cependant, gageons que les affirmations des uns et des autres sont avant tout liées à leurs propres histoires et que ces romantiques ou ces classiques, s’ils avaient vécu autrement, eussent aussi écrit tout autrement.

Racine, assez curieusement, fut lui aussi tenté par une synthèse, proclamant: ” que ne peut l’amitié, conduite par l’amour”. J’avoue être assez proche de cette perspective, trouvant que le vocabulaire français n’offre peut-être pas toutes les possibilités pour décrire la complexité de ces sentiments qui sont finalement parfois très proches, chronologiquement et par la confusion qu’ils peuvent induire, l’un précédant l’autre, ou bien lui succédant. Je demeure cependant certain qu’il demeure toujours un peu de l’un dans l’autre et que rien ne peut être aussi tranché que le pense la Bruyère, sans quoi, comment expliquer que ces mêmes glissements que nous venons d’évoquer puissent tout simplement exister? Ne parle t’ on pas d’ailleurs d’amitiés amoureuses et au grand siècle les amants ne se disaient-ils pas mon ami(e)? Que dire alors des euphémismes actuels qui font que l’on parle de petit(e) ami(e) pour désigner un(e) amoureux(se)? Ce qui revient à placer, comme nous le vîmes plus haut, l’amitié, finalement, en position supérieure à celle du sentiment amoureux.

Nous faisions mentions plus haut de cette différence d’approche entre l’amitié et l’amour face au temps, pour Jacques Deval “l’amitié vit de silence, l’amour en meurt”, autre différence importante, mais qui, ici, me semble plus devoir être mise en lien avec la manière dont les individus semblent pouvoir vivre leur relation, du coup, cette généralisation pourrait être abusive, il doit y avoir des amoureux silencieux et des amis bavards! En revanche, j’aime beaucoup cette citation de Bismarck, qui, quand on connait l’homme peut presque surprendre, mais qui prouve bien en revanche à quel point l’auteur de la Realpolitik était un fin connaisseur de l’âme humaine: “l’amour est aveugle, l’amitié ferme les yeux”.

Pourrait-on alors envisager que l’amour et l’amitié ne s’excluent pas mais que, tout simplement, ils ne se reconnaissent pas car ne se voient pas? L’aveuglement de l’amour serait plus à considérer comme celui de la passion, quant à ces yeux fermés de l’amitié, ils me font penser à ce merveilleux tableau de Rembrandt, le fils prodigue, (que je vous invite à rechercher et à trouver, très aisément, sur internet, que j’eux le grand plaisir de voir “en vrai”, au musée de l’Ermitage, à Saint Petersbourg, accompagnant des élèves du Nord), lesquels yeux fermés sont ceux du père plein d’amour. Ne sont-ce pas, en plus de nos meilleurs amis qui savent voir nos défauts et les accepter, nos parents, ceux qui nous aiment sans doutes le plus, qui savent agir de la sorte: fermer les yeux et continuer à nous aimer?

Au final, nous n’avons pas tranché cette question, mais nous avons découvert la proximité évidente de ces deux sentiments, lesquels, en tout état de cause, sont inévitablement liés à un autre sentiment essentiel: la fidélité.