ne résiste pas toujours au calme de la fidélité. Rivarol.
Paradoxal ou logique? Disons le d’emblée, il y a là deux visions clairement opposées de l’amour, lesquelles pourraient nous faire porter des jugements moraux, ce qui n’est pas du tout le but de notre réflexion, nous ne nous fourvoierons donc pas et obvierons à toute dérive, pour, au contraire, élever le débat.
On place toujours la fidélité sur le plan de l’amour, avec toutes les conséquences que cela porte, de la voir raillée ou présentée comme l’absolu, mais il me semble que la fidélité est aussi capitale dans les relations amicales, voire, plus importante encore. Balzac, dans la cousine Bette, s’interroge et pose la question suivante, qui pourrait être prise comme une affirmation tout autant “peut-être la certitude est-elle le secret des longues fidélités”. Certes, mais de quelle certitude parle-t-on? De celle d’être aimé, d’aimer, c’est évident, mais en repensant bien à cette diversité de vocabulaire que nous permet le grec, à la différence du français, et que nous avions mise en avant antérieurement. On comprend alors pourquoi, selon Montherlant, “quand on aime, la fidélité n’est guère difficile”. Cela reviendrait tristement à dire que quand les choses vont, tout va et que, lors de la première difficulté, la relation change, en amour comme en amitié, et que l’on voit son Amour ou ses Amis s’éloigner de soi, ou bien nous, nous éloigner d’eux.
Cela arrive en effet parfois, cela me navre, cela ne devrait pas être. C’est là qu’intervient la fidélité. C’est là qu’elle peut être conspuée, par Eugène de Beaumont, par exemple, qui la rabaisse alors au rang de “la forme la plus noble de la servitude”, alors que d’autres l’absolutisent. Au nombre de ces derniers, se trouve Shakespeare, qui, dans sa pièce Antoine et Cléopâtre, proclame que ” celui qui persiste à suivre avec fidélité un maître déchu est le vainqueur du vainqueur de son maître”. J’avoue que cette possibilité d’inverser ainsi les valeurs me convient. La fidélité peut se voir en effet comme quelque chose de bien plus complexe que la seule relation à un individu. On peut être fidèle à une promese, à un absent, à un mort, à un souvenir, à un idéal etc. Vouloir, car il faut le vouloir, vouloir être fidèle à quelque chose, et plus encore à quelqu’un, c’est savoir pour quoi, ou pour qui, on peut vouloir mourir. Il suffit de penser ici au programme d’histoire de troisième et à tout ce qui tourne autour de la résistance: c’est la fidélité à “une certaine idée de la France”, comme aurait dit de Gaulle, qui a permis à ces hommes et à ces femmes d’accepter le sacrifice de leur vie. Le sacrifice n’est pas à rechercher en soi, mais j’avoue que, idéaliste par essence et névrosé par habitude, je trouve, en l’idée du sacrifice, quel qu’il soit, quelque chose d’admirable.
Vouloir rester fidèle à un amour, vouloir rester fidèle à une amitié, lorsqu’en face ce n’est plus le cas, ou plus possible, la vie, ou la mort, en décidant autrement, qui n’a pas vu un film, entendu un opéra ou une chanson, lu un livre, même dans la littérature pour ado, qui mette cela en avant? Qui ne fut pas sensible à ces messages? Me concernant, je le suis toujours et saisi aux entrailles. Songez à tous ces instants sublimes, décrits, chantés, rimés, filmés, où, par fidélité, on hante les lieux qui sont autant de théâtres où se rejoue, avec un ou plusieurs acteurs en moins, la scène préférée d’un amour ou d’une amitiée perdue. Songez à ces gestes que l’on aime refaire, à ces paroles que l’on se répète, pour se souvenir de ceux qui ne sont plus et que l’on ne cesse pas, pour autant, d’aimer. Il ya certes là un côté névrotique et que d’aucuns qualifient de morbide, je n’y vois que de la fidélité, par delà le temps et ses ravages.
Vouloir permettre à un sentiment de transcender le temps et l’espace pour s’inscrire dans l’éternité, lui faire dépasser l’humanité dont il est issu pour l’ennoblir, l’élever, c’est grandiose, c’est fort peu réaliste, c’est assurément source de tristesse, mais c’est glorieux!