Lorsque, comme moi, on arrive à l’automne de sa vie, sans même avoir vu que le printemps, puis l’été, se profilaient et défilaient, vous laissant simple spectateur de votre existence, passée à contempler ou scruter celles des autres, usant et abusant de cette mémoire qui, telle un don attribué par quelque bonne fée au dessus de votre berceau, vous semblait devoir être vôtre ad vitam aeternam, un film comme celui de ce soir, vu au terme d’une journée rendue mélancolique par les prémices d’un automne astronomique à peine sonné, ne pouvait que m’ interpeller, à plus d’un titre.
Le thème général du film est celui de l’euthanasie. Pour des raisons personnelles, je suis contre. Intellectuellement, je comprends parfaitement les motivations de ceux qui peuvent y recourir, comme l’héroïne, qui, par bien des aspects, me fit penser à une personne qui m’était très chère et qui souffrait des mêmes symptômes, qu’elle endura jusqu’à ce terme, qu’ici, Yvette, ne veut pas avoir à aborder.
Il y a beaucoup à étudier dans ce film, une histoire d’amour entre quadragénaires, une histoire d’amitié entre septuagénaires, la difficile relation mère/fils, le caractère des deux héros, Yvette et Alain, son fils, deux êtres de granit. Ce que mon coeur et mon esprit me poussent, ce soir, à mettre en avant, c’est le comportement de la mère vis-à-vis d’elle même et face à la mort. Yvette est rigide bien avant d’être morte. Peut-être même est-elle un peu morte, avant que la maladie ne l’achève. Elle m’interrogea profondément sur le sens que nous pouvons ou devrions donner à nos vies respectives.
Consciente de sa maladie, de la fin inéluctable et proche qui est la siennes, Yvette ne laisse rien transparaître, la maladie le lui permet: pas de signes visibles, tout au plus quelques accès de faiblesse, aisément dissimulés par cette femme qui semble ne pas avoir eu une vie des plus agréables. Mais voilà, elle est de cette génération où l’on endure stoïquement, de ces femmes de devoir qui font et sont ce qu’elles doivent avant que de penser à elles. Tout doit être “comme il faut”, aussi, la maison est-elle propre, aussi est-elle parfaite voisine. Fut-elle bonne mère? Je vous laisse le découvrir.
Il y a quelque chose de royal dans cette femme qui semble régner hautainement sur sa vie, qui refuse la douleur, mais qui souffre et, parfois, en silence, en secret, pleure. La maladie ne saurait lui imposer la déchéance, elle choisira l’heure de sa mort. Elle veut, jusqu’au dernier moment, tout contrôler, ou en avoir l’illusion, que peut-on contrôler dans nos vies? Du tréfonds de la solitude abyssale qui est la siennes elle ne trouve personne vers qui crier, pas plus Dieu qu’ Homme, puisqu’elle est dramatiquement seule. Mais, seule, elle a cette phrase au milieu du film, qui éclaire, si elle ne justifie, ses actes, s’exprimant au sujet de son désir d’en finir avec la vie elle dit à son fils: ” au moins ça fait une chose que j’ai décidée”. Désespérante lucidité. Retour bref, laconique, intensément dramatique et réflexif sur toute une vie.
Royal, vous-dis-je que cette femme, si simple, qui préserve les apparences, sa rigueur, jusqu’au moment ultime, aussi bien que Louis XIV ou Richelieu sur leurs lits de mort, aussi bien que la grand-mère de brasse-bouillon dans vipère au poing, aussi bien que ces myriades d’anonymes de tous âges, de tous rangs qui, par amour, crurent qu’il fallait dissimuler qu’ils aimaient. On fait parfois tant de choses de travers en voulant bien faire. On sait si mal se comporter envers les autres. On se comporte si mal envers soi. Pourtant, au milieu de ces hivers de nos vies, parvenus au terme de nos fugaces et douloureuses existences, je demeure persuadé que nous saurons nous retourner et y retrouver quelques heures de printemps. Ce seront celles où nous aurons su aimer et nous laisser aimer.
Je ne retrouve plus mon exemplaire du Petit Prince, mais, de tête, je voudrais terminer ici avec une citation de la Rose, qui, ce me semble, illustre parfaitement le film et la relation mère/fils: “adieu et tâche d’être heureux, on est tellement bête à vouloir cacher tous ses sentiments, voilà que tu pars, j’aurais dû te dire, depuis si longtemps, que je t’aime tant”.