L’été est à la porte (en théorie), les conseils de classe du troisième trimestre achevés (pour ma part en tous cas), les derniers bulletins remplis, les dernières copies corrigées, les derniers cours mis à jour, l’épreuve orale d’Histoire des Arts passée (mais qu’avez-vous retenu de nos si beaux cours ??? Je ne peux plus voir “Supermarkett Lady” : 4 candidats successifs se sont échinés à me décrire cette grasse lady à bigoudis, comme j’aurais préféré entendre une bonne explication de la chanson de Brassens… ) : bientôt, les rangs de nos salles de cours se réduiront comme peau de chagrin, nous le savons (à Ajaccio, ma nièce, en 3ème, sèche les cours pour aller à la plage -oh !- : estimons-nous donc heureux de n’avoir ni plage ni printemps !) et les journées auront un goût de “qui s’achève”…
Le plus beau, dans cette fin d’année, ce sont les sourires angéliques de nos collègues qui, ayant obtenu la mutation rêvée, se trouvent soudain apaisés d’envisager une rentrée de septembre dans un établissement tout près de chez eux. Comme je les comprends : plus de route à faire avant de rejoindre son lieu de travail, c’est un confort précieux.
Ceux de nous qui n’ont pas obtenu cette mutation partagent la joie de leurs collègues, un brin de jalousie, probablement, dans le coeur. Mais qu’importe : on se ressaisit ! Une nouvelle année à passer ensemble, celles et ceux qui restent n’oublieront jamais (croix de bois, croix de fer !) celles et ceux qui quittent le navire pour voguer vers de nouvelles aventures, mais pour l’heure, la préparation de la rentrée va nous occuper et c’est avec nos petits camarades préférés que nous allons nous atteler à la tâche. Une consolation dans cette période de mutations : la relève sera, de toutes manières, assurée et l’un des bonheurs de ce collège, c’est sa salle des professeurs toujours renouvelée et rajeunie de septembre en septembre : évidemment, M. Mastorgio et moi-même finirons par faire figure de fossiles, mais comme on ne se voit pas vieillir soi-même, tout va bien (Pourquoi les quatre élèves qui m’ont parlé hier de “Supermarket Lady” l’ont-ils qualifiée de “vieille” ? Diantre : elle ne semble pas avoir la quarantaine !!!).
C’est donc dit : pas de mutation pour moi-même (on est tellement dans ce collège-maison, pourquoi le quitter ? J’aime tant voir arriver les petits frères et petites soeurs de mes zélèves, année après année.. A quand les zenfants de mes premiers zélèves george sandiens ?????) pas plus que pour mon cher compagnon Mastorgio : zut, je ne pourrai donc pas encore cette année dessiner de fausses moustaches et un maque de borgne au cardinal de Richelieu qui me nargue sur le mur du couloir… Ni pour mon cher collègue concurrent de rallye-lecture : nous pourrons à nouveau mesurer nos classes de sixième l’an prochain. Avec ma collègue spécialisée en sciences de la vie (ça impressionne, n’est-ce pas ?), nous projetons d’alimenter une rubrique “santé” dans le Torchon : spécial club santé pour les futurs zélèves d’option media. Où l’on pourra discuter sans complexes ni tabous de tous les sujets liés à la santé et à la vie. Ces perspectives rassurent : tout ne va pas s’effondrer dans notre monde george sandien.
On n’aime pas voir partir nos collègues, alors, on fanfaronne, mais dans le fond, on déteste que nos compagnons de galère, de perles d’élèves, de coups durs comme de belles journées (les tournois de foot, le cross, ces temps où les zélèves sont si proches qu’on réalise -s’il le fallait encore- que c’est pour et grâce à eux que nous faisons ce métier avec bonheur), de fins de trimestres difficiles, de pauses-récréations festives, de petites et grandes joies nous quittent.
Comment ça, ce sera mieux ailleurs ? Pas du tout : dites-le leur : tous ceux qui ont, tels la chèvre de M. Seguin, rompu leur corde et tenté la liberté se sont fait manger par le loup : ils n’ont pas trouvé l’herbe plus verte ailleurs…
Souhaitons-leur une belle continuation, ils sont encore avec nous pendant trois semaines, profitons d’eux… C’est comme nos chers zélèves de troisième : dans trois semaines, nous les aurons menés au Brevet et ils prendront leur envol. Et c’est bien, qu’enfin ils découvrent la vie de lycéens dont ils rêvent (et la littérature !). Qu’ils grandissent et deviennent ces jeunes femmes et ces jeunes hommes qu’on peine ensuite à reconnaître dans la rue tant ils ont mûri. On en rêvait, qu’ils quittent le costume de l’ado qui se cherche, du clown amuseur de la galerie, du geek qui dort dans vos cours, de l’éternel contestataire (“M’Dame, à quoi ça sert la grammaire ?”), de l’autre, au regard dubitatif quand vous achevez la lecture d’une scène d”Antigone les larmes aux yeux en vous exclamant : “c’est magnifique !” , de ceux, enfin, qui auront été assez bien élevés pour suivre votre cours sans jamais rien y comprendre, mais avec la bienveillance et la fidélité de celui qui sait que, chauffé, logé, nourri, bien calé au fond de la classe, c’est le début du bonheur…
Ils quitteront ce costume qu’on leur a connu tout au long de l’année pour devenir des adultes, peu à peu… Et dans quelques années (une grosse décennie), nous les retrouverons dans le costume de parents d’élèves !