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Classé dans (Le vendredi, c'est journalisme !) par Agnès Dibot le 17-02-2011

Des Voyageurs sans Mémoire ?

Voyage au coeur de l’Histoire des Gens du Voyage : 1939-1945

Invitées par l’ADAPGV à la projection du film « Des Français sans histoire », au cinéma Les 400 Coups, les deux classes  Médias de Châtellerault (K’eskon Attend et Le Torchon) ont eu la chance de rencontrer le réalisateur. Elèves et passeurs de Mémoire.

Contexte historique

La politique raciale menée par le régime nazi en Allemagne à partir de 1933 atteindra l’horreur en 1942, avec la Solution Finale, l’extermination des Juifs et des Tziganes. D’après les Nazis, les Juifs étaient situés tout en bas de l’échelle des races. Ceux qu’on appelle alors les « nomades », par opposition aux sédentaires, vont subir eux aussi un génocide : ce sont environ 220 000 Tziganes assassinés par les nazis dans les camps d’extermination en Europe. Si on connaît l’histoire du génocide des juifs, la Shoah, on ne connaît pas toujours bien celle du génocide des Tziganes. Nos livres d’Histoire ne nous l’enseignent pas.

Grâce au film de Raphaël Pilosio, « Des Français sans Histoire », nous apprenons qu’en France, les nomades, que l’on désigne aujourd’hui sous le terme administratif « Gens du Voyage », ont été internés dans des camps sur le sol français pendant toute la durée de la guerre -voire plus-, et que certains hommes ont été déportés vers les camps d’extermination en Allemagne, en Pologne, et y ont été gazés. En approfondissant les recherches, on apprend que le gaz Ziklon B avait été testé sur des enfants tziganes…

(Le Torchon)

Qu’en est-t-il de toute l’Histoire ?

Les nomades, ces personnes vivant sans domicile fixe et en habitat mobile, ont connu de grandes souffrances lors de la Seconde Guerre Mondiale.  Entre arrestations et camps de concentrations, un petit retour sur l’histoire de ces personnes.

C’est avant la Première Guerre Mondiale qu’on a inventé le fameux carnet anthropométrique visant à limiter la liberté des Gens du Voyage mais c’est pendant la Seconde que l’histoire s’est emballée.  Des lois, toutes contre les nomades, sont décrétées, comme des lois qui interdisent ces personnes à circuler sur le territoire français pendant la durée de la guerre ( décret du 6 avril 1940 ).  Les nomades sont assignés à résidence, puis le gouvernement pousse à vouloir les interner dans des camps, tout ça sous le régime de Vichy. L’internement des nomades en zone sud est dirigé par les français alors qu’en zone nord, ce sont les allemands qui dirigent les arrestations.

Ces personnes sont alors emmenées dans ces camps (une trentaine en France) où elles sont mal nourries, mal logées et dans lesquels elle travaillent dur. Pour manger, elles doivent souvent trouver leur propre nourriture. A certains, endroits, elles sont autorisées à sortir du camp la journée pour aller trouver leurs denrées mais sont néanmoins obligées de rentrer le soir où elles sont enfermées dans des sortes de « cages » dans lesquelles nous enfermerions des bêtes aujourd’hui.

Entre 1940 et 1946,  4 657 nomades sont arrêtés en zone occupée puis internés et 1 404 le sont en zone libre. Vous vous rendez-compte que ces gens ont été arrêtés parce qu’ils ont été jugés « dangereux » pour la population ! Des idées fondées sur rien puisque ces personnes ne sont pas des voleurs comme on le prétend à l’époque et ce sont des personnes comme toutes les autres, le seul critère de différence étant le mode de vie.

1946. Une année qui marquera sûrement les esprits puisque c’est celle qui signifie la fin des camps pour les tsiganes. Le dernier camp fut celui de Jargeau, à Angoulême. Mais bien qu’elle soient sorties des camps, les familles nomades n’ont pas fini de souffrir puisqu’à leur sortie, ils n’ont pas retrouvé les caravanes, les roulottes ou les chevaux qu’ils avaient abandonnés quand on les a arrêtés.

Rien, il ne leur reste rien… A part des souvenirs noirs de douleurs, de souffrances, d’images de guerre, de sang ou de mort. Des traitement qu’ont subis des personnes qui n’avaient rien demandé, qui n’étaient pour rien dans cette guerre et qui ont tout de même souffert et qui ont été trahies par leur patrie , la France…

Nourelhouda et Marion (K’eskon attend ?)

Gens du voyage : « Des Français sans Histoire »

Raphaël Pillosio, le réalisateur est clair : « La France ne reconnait pas les souffrances des Nomades,  ce scandale de l’internement des Gens du Voyage pendant la Seconde Guerre Mondiale ».  Son idée ?  Recueillir la parole des gens qui ont eux-mêmes étés internés et enregistrer cette parole pour les plus jeunes. Une façon de redonner leur histoire à ces français que les français ne reconnaissent pas.  Pour cette réalisation, il lui a fallu une longue préparation et plusieurs années avant le montage. Une confiance s’est installée avec toutes les personnes rencontrées, retrouvées, pour la plupart, de témoignage en témoignage, un témoin signalant une histoire, une famille, un autre la localisant… Jusqu’à cet homme digne, présent dans la salle, venu raconter en direct, M. Fernandez. « La seule chose que j’espère, c’est ce que ça ne se reproduise pas. On était tellement maltraités, tout ce malheur vécu reste encore en nous.  Des familles entières ont étés internées ».

Raphaël Pillosio, en dévoilant son dispositif, explique l’intérêt d’une petite équipe (trois personnes) pour établir cette confiance. Il explique aussi pourquoi il a tourné en plans fixes la plupart des entretiens : « Je voulais voir le travail de la mémoire se faire jusque dans les silences. » Et dans ces silences, le spectateur a pu entendre, au fil des interviews, cette question répétée, venant ponctuer les récits : « Mais pourquoi, on ne nous aime pas ? ». Qu’on ait choisi d’être sédentaires comme M. Fernandez, qu’on ait choisi de continuer la roulotte comme certains dans le film, il y a toujours ce rejet du Gitan, du Manouche, du Tsigane, du forain…

Conséquences de ce rejet : le carnet anthropométrique qu’il fallait faire signer dès le début du siècle dernier, l’internement durant la guerre, demandé par l’état français, des prises de parole encore aujourd’hui de certains politiques. En tout cas, pour cet épisode historique, une cinquantaine de camps ont mis des barbelés entre les gens du voyage et les autres, et certains ont fini leur vie en Allemagne avec les juifs, les résistants, les homosexuels… Sans laisser beaucoup de traces.

Nourelhouda et Marion (K’eskon attend ?)

Merci à Raphaël Pillosio, à Delphine Plaud et Thérèse Boger, de l’ADAPGV, à M. Fernandez, à Margot Buczkowski et aux membres de la famille Henrique, de qui nous avons beaucoup appris.