Le 4 septembre 1870, pendant que l’armée prussienne victorieuse marchait sur Paris, la république fut proclamée ; le 5 septembre, M. Victor Hugo, absent depuis dix-neuf ans, rentra. Pour que sa rentrée fût silencieuse et solitaire, il prit celui des trains de Bruxelles qui arrive la nuit. Il arriva à Paris à dix heures du soir. Une foule considérable l’attendait à la gare du Nord. Il adressa au peuple l’allocution qu’on va lire :
«Les paroles me manquent pour dire à quel point m’émeut l’inexprimable accueil que me fait le généreux peuple de Paris.
Citoyens, j’avais dit : Le jour où la république rentrera, je rentrerai. Me voici.
Deux grandes choses m’appellent. La première, la république. La seconde, le danger.
Je viens ici faire mon devoir.
Quel est mon devoir ?
C’est le vôtre, c’est celui de tous.
Défendre Paris, garder Paris.
Sauver Paris, c’est plus que sauver la France, c’est sauver le monde.
Paris est le centre même de l’humanité. Paris est la ville sacrée.
Qui attaque Paris attaque en masse tout le genre humain.
Paris est la capitale de la civilisation, qui n’est ni un royaume, ni un empire, et qui est le genre humain tout entier dans son passé et dans son avenir. Et savez-vous pourquoi Paris est la ville de la civilisation ? C’est parce que Paris est la ville de la révolution.
Qu’une telle ville, qu’un tel chef-lieu, qu’un tel foyer de lumière, qu’un tel centre des esprits, des cœurs et des âmes, qu’un tel cerveau de la pensée universelle puisse être violé, brisé, pris d’assaut, par qui ? Par une invasion sauvage ? Cela ne se peut. Cela ne sera pas. Jamais, jamais, jamais !
Citoyens, Paris triomphera, parce qu’il représente l’idée humaine et parce qu’il représente l’instinct populaire.
L’instinct du peuple est toujours d’accord avec l’idéal de la civilisation.
Paris triomphera, mais à une condition : c’est que vous, moi, nous tous qui sommes ici, nous ne serons qu’une seule âme ; c’est que nous ne serons qu’un seul soldat et un seul citoyen, un seul citoyen pour aimer Paris, un seul soldat pour le défendre.
A cette condition, d’une part la république une, d’autre part le peuple unanime, Paris triomphera.
Quant à moi, je vous remercie de vos acclamations mais je les rapporte toutes à cette grande angoisse qui remue toutes les entrailles, la patrie en danger.
Je ne vous demande qu’une chose, l’union !
Par l’union, vous vaincrez.
Étouffez toutes les haines, éloignez tous les ressentiments, soyez unis, vous serez invincibles.
Serrons-nous tous autour de la république en face de l’invasion, et soyons frères. Nous vaincrons.
C’est par la fraternité qu’on sauve la liberté.»
Victor Hugo, in « Actes et Paroles », 1876
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