Jan
10
Classé dans (Le vendredi, c'est journalisme !) par Agnès Dibot le 10-01-2014

Etrange ambiance en séance d’option media, hier matin… Où l’on se frotte à l’actualité que, lâchement, osons l’écrire, on aurait volontiers éludée : Dieudonné. Trop lourde, trop polémique, trop délicate actualité à débattre avec des adolescents de troisième qui entrent à peine, à cette époque de l’année, dans l’étude de la Shoah et manquent donc de repères pour comprendre le sens des mots génocide, antisémitisme, antisionisme.

Mardi, ce sont les zélèves de quatrième qui ont ouvert le bal : “M’Dame, on veut parler de l’actualité, on veut parler de la quenelle”. Aïe, j’avais plutôt pensé aborder la chasse au Dasi et les articles au sujet de la semaine à projets en quatrième : raté. Mais ce qu’élève veut… Table ronde, parole libérée : mais en quatrième, sans notion d’Histoire, il est impossible de comprendre la polémique qui naît autour des spectacles de Dieudonné. D’autant plus qu’un de mes zélèves a déjà son billet pour le spectacle de Tours… Le “débat” s’enlise très vite sur un terrain qu’on voudrait quitter : la religion. Où l’on a entendu, tout de même, des adolescents expliquer qu’une des trois religions monothéistes est supérieure aux deux autres, puisque plus récente, donc “plus aboutie, plus riche, plus réussie”. La sonnerie de la fin de séance permet d’esquiver.

On reprend son souffle, son calme, et on entre en cours de troisième pour apprendre qu’en latin (mais comment mes zélèves de troisième ont-ils bien pu aborder le sujet Dieudonné en cours de latin, me direz-vous très justement ?), une discussion animée a eu lieu, que ma collègue me résume entre deux portes, deux sonneries. En substance, j’apprends que mes zélèves auraient bien besoin d’un espace d’expression sur le sujet. L’option media devrait donc, cette semaine, offrir cet espace. Y compris à des zélèves non inscrits, en mal d’expression. Ou est-ce d’explication ?

Hier, adoncques, Vincent, élève de troisième fan de Dieudonné,  rejoint les troupes en option media : courageux, le garçon, motivé : la séance a lieu à 8 heures. (Vincent, tu aurais pu apporter les croissants, soit dit en passant). Où l’on apprend que, la veille, le débat a eu lieu en cours d’Histoire et que mon cher collègue, surpris par certains propos d’élèves, a haussé le ton et, toutes affaires cessantes, fait le point sur l’antisémitisme. Invité à se joindre à l’équipe du Torchon hier matin, mon cher collègue n’a pas hésité, lui non plus, à se lever plus tôt (mais a également oublié de nous apporter des croissants…).

Mais allez débattre sereinement avec des adolescents de quinze ans, en respectant l’interdiction de livrer votre propre opinion sur le sujet, en vous contentant d’exposer les notions républicaines, de rappeler la loi et sans vous énerver de propos indiscutablement énervants… au sens premier du terme… Difficile exercice de style auquel, M. Aimé et moi-même nous sommes soumis hier matin. Face à deux attitudes d’élèves : ceux qui, en attente d’information, d’éclairage historique, écoutent, questionnent, comprennent. Et ceux qui, campant sur leur position première, brandissent l’unique argument de l’innocence du sieur Dieudonné, victime du système qui le prive de faire rire.

Et je doute qu’on en reste là ce matin, dans quelques heures, nous redescendons dans l’arène…

Jan
10
Classé dans (Le vendredi, c'est journalisme !) par Agnès Dibot le 10-01-2014

Chers zélèves, observez le titre et le chapeau de cette Une. La rédaction de Libération ose le nom “haine”,  l’adjectif “antisémite”, et place le nom “humoriste” entre guillemets. Intéressant. A mettre en relation avec cet extrait d’un article de Scheiderman sur Mediapart, qui réfléchit, justement, à la façon dont les journalistes devaient nommer et caractériser Dieudonné.

 Le substantif posé, se pose dans la foulée la question du choix de l’adjectif, avec deux écoles : antisioniste, ou antisémite ? Pas la peine de rappeler l’importance de la distinction. Si l’on ne souhaite pas trancher, on peut toujours s’en sortir par un « controversé », qui ne mange pas de pain, mais ne veut strictement rien dire. Qui sur cette terre n’est pas « controversé » ? Je suis, vous êtes controversés.

Choisir, donc. Se mouiller. Notre dossier en fait foi, dans les premières plongées dans le phénomène, nous avons opté pour un prudent « antisioniste » entre guillemets, manière de ne pas trop, justement, se mouiller, et de suggérer : « Voilà comment il se désigne lui-même, mais nous ne sommes pas dupes. » Plus nous progressons dans l’exploration susmentionnée, plus il nous semble tout de même qu’un vigoureux « antisémite », franc et massif, et sans aucun guillemet, n’est pas immérité.