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Classé dans (C'est dangereux, une draisienne) par la Vieille Garde le 26-03-2016

N’avez-vous jamais entendu, voire, prononcé cette phrase, ces quelques mots, sur un ton souvent pensif, ou plein de regrets: “maintenant, je comprends…”

Une compréhension qui, de fait, confine en effet bien souvent au regret, à moins que ce ne soit une véritable révélation, mais on préfère alors le célèbre “eurêka”.

Depuis ce que je pourrais reprendre d’Alice au pays des merveilles et nomme mon jour frabieux, ce fameux 9 mars 2016, celui où mon fémur gauche jugea bon de s’appliquer à lui même des principes géologiques ou physiques de calcul de forces, de point de rupture ou de tectonique des plaques, que sais-je, donc, disais-je, depuis ce 9 mars, je ne fais que confirmer ce que sera sans doutes pour moi l’année 2016, celle du “maintenant je comprends”.

J’aimais la solitude car elle était pour moi une pause salutaire dans la vie trépidante qui était la mienne. Maintenant je comprends qu’elle puisse peser aux personnes âgées seules à l’hôpital.

J’aimais marcher, me déplacer en vélo, faire du jardinage, tel monsieur Jourdain, sans m’en rendre compte. Maintenant je comprends celles et ceux qui pleurent leurs capacités physiques ou intellectuelles envolées définitivement. (j’espère que pour moi ce n’est qu’une question de semaines)

J’aimais le silence, maintenant je comprends les adolescents qui peuvent lui trouver un côté angoissant.

Les exemples sont à multiplier, quasiment ad libitum, mais ce n’est pas cela qui importe.

Nous sommes tous, et plus encore les lecteurs de ce Torchon, enclins à un certain altruisme, hommes et femmes de bonne volonté. Nous avons ce que nos grand-mères nommaient un bon coeur (au fond!). Nous faisons de notre mieux pour comprendre nos prochains et faire preuve de compassion, de sympathie, et je prends les mots au pied de leur étymologie. Eh bien, ô lecteur, ceci ne suffit pas, ceci est un leurre.

Notre compréhension intellectuelle des choses et des situations est vaine. Certes, il nous faut persévérer et toujours agir de la sorte, mais cela ne suffit en rien. Ce n’est pas notre faute mais, ma modeste expérience me le prouve, tant que l’on a pas vécu une situation, on ne peut pas vraiment être pris aux tripes et ressentir pleinement l’émotion de celui avec lequel on essaye de partager le sentiment vécu. Si l’on faisait du latin, surtout cette année, nous parlerions ici de la miséricorde et de la racine hébraïque du mot, mais ne forçons pas les choses.

Je retire donc de tout cela que tout ce que nous vivons, de pénible mais aussi de joyeux, au cours de nos existences, sont de précieux moments qui, élargissant le panel de nos émotions nous permet de rentrer plus pleinement en contact avec nos contemporains, afin de les comprendre et de les soutenir, si besoin. Naturellement, nous aimerions tous éviter le pénible de nos vies, et, je le confesse, je serais bien plus heureux de monter 10 fois par jour mes 3 étages que de demeurer allongé immobile, je serais bien plus heureux de devoir sermonner les uns et les autres, de devoir endurer les pitreries, les inattentions etc de hordes d’élèves que de devoir me contenter de m’en souvenir. Cependant, je n’ai pas le choix. Je suis en revanche persuadé que j’ai le choix de savoir ce que je vais faire de cette expérience. Eh bien je choisis d’en tirer du positif: maintenant je comprends, bien plus de personnes, bien plus de souffrances, de solitudes et j’aurai bien plus de joie à retrouver les escaliers du collège, la marche et le jardinage.

En revanche, ce que je ne comprends pas, ce sont les hérons, car, bon sang, quand on a la chance d’avoir ses pattes qui servent, on s’en sert et on ne reste pas que sur une seule des deux que l’on possède!