Juin
21

« Vous n’avez réclamé ni la gloire ni les larmes ni la prière aux »… méritants

Euh, non, oups, pardon, ça, c’est Aragon (vous l’avez reconnu, je n’en doute pas) : autres temps, autres moeurs : quand on vous dit que vous vivez sous de meilleures auspices que vos aïeux. Enfin, nos aïeux, vos arrière-grands aïeux… « Ca date », comme dirait Pacôme…

Donc, vous n’avez réclamé ni la gloire ni nos larmes, et pourtant, et pourtant… Cette petite cérémonie, c’est votre moment de gloire, et les larmes seront peut-être bien au rendez-vous dans nos rangs… Que voulez-vous, on est émotifs, en fin de troisième trimestre, à la veille du brevet… Quand vous nous quittez définitivement… (enfin, les troisièmes…)

C’est une idée, ça : remercier, féliciter les zélèves méritants. Méritants ? C’est ça : méritants. Quel mérite est le vôtre, adoncques ? Ah oui, avoir brillé tout au long de l’année, voire de votre scolarité entre nos murs. Hum. Pas si facile, il faut bien l’admettre. Brillé et rayonné. Rayonné, irradié, que dis-je, irradié… Illuminé nos cours de vos sourires et regards de connivence… De votre calme et de votre sérieux. Multiplié, dans vos chères copies, les références culturelles (ah, la description des mouches des précieuses du 18ème siècle dans la rédaction de Justine… La réflexion quasi philosophique d’Aloïs qui n’a pas fini de souffrir à son humanité…) et les questions gênantes qu’on élude dans un soupir entendu : « Pourquoi on n’étudie pas le subjonctif, M’Dame ? C’est passionnant, pourtant, le subjonctif… »…

Qu’est-ce que briller, pour nos zélèves de REP+ ? Etre méritants ? Ne serait-ce pas, au-delà de collectionner les félicitations-compliments-encouragements aux conseils de classe, tout simplement être des zélèves dans les meilleures acceptations du terme ? Tout simplement, tout simplement,  fichtre, pas si facile que ça à tenir, peut-être bien… Entre nos murs gonflés d’egos, d’ados en quête d’eux-mêmes tout autant que d’autrui, entre nos murs effrités par la succession de leçons de morale-de grammaire-de chimie répétées rabâchées remâchées recrachées année après année, saison après saison, séquence après séquence : « Mais m’Dame, quand même, c’est facile, l’accord du participe passé, quand même, on voit ça depuis la sixième ! »

Tout est dans cette remarque d’Aloïs un jour de découragement : et tous nos remerciements tiennent dans cette remarque. Oui, Aloïs, comme Messua, comme Alix et Julia, (encore que Julia et l’orthographe, c’est une histoire à part ;)), comme Corentin et Corentin, Gauthier, Noa, Mahel, vous avez copié, recopié, rerecopié les règles les leçons les théorèmes et accumulé les points dans la moyenne. Parce que, patiemment, et avec le sourire, avec humour même, parfois, vous avez su attendre que vos camarades plus lents, plus, euh non, moins à l’écoute, moins rigoureux, moins accompagnés, peut-être, dans leur travail scolaire, comprennent les notions : « Ah, ça y est, M’Dame, j’ai compris, le participe passé, c’est hypper simple, en fait ! ».

Ces quelques mots pour vous remercier, vous qui avez donné à nos cours leur raison d’être, à nos journée leur soleil, à nos longs week-end de correction leur sel… A nos cours du piment. Je n’oublierai pas (et oui, ils me manqueront, c’est à n’en pas douter), ma brochette de cerveaux de 3ème3 : les gloussements d’Aloïs aux messes basses d’Alix : « Antigone, Astyanax, Phyrrus : ils ont des noms de médicaments, les héros de tragédies grecques… », les néologismes d’Alix, et son interprétation de l’engagement d’Antigone, la lueur intelligente dans les yeux bleus ou marrons de ma brochette à la lecture d’Antigone : aucune subtilité ne leur échappe dans ce texte à la fois sublime et drôle quand, avouons-le, le 20 juin, les errements de la fille d’Oedipe  (« j’y vais, j’y vais pas, j’y vais, j’y vais pas ? ») en saoûlent plus d’un dans la classe… « C’est une capricieuse, Antigone, de toutes façons, quoi qu’elle fasse, c’est loose-loose… ») Je remercie mes zélèves méritants pour leur foi en ce qu’on peut encore, envers et contre tout, leur apporter en matière de culture, de beauté littéraire, de réflexion, de poésie… C’est vrai, Cyrano, Antigone, à la mi-juin, ça donne du baume au cœur, ça rend léger (parce que ça ne leur arrive qu’à eux, pas à nous, c’est ça, le théâtre) avant de partir batifoler sur les plages d’ici ou d’ailleurs, ça vivifie, non ? Eux l’ont compris.

La liste de mes nominés :

Si j’avais à remercier, dans mes classes de troisièmes (puisqu’ils vont nous quitter), mes zélèves “méritants“, j’aurais du mal à opérer une sélection… Disons-le : je vais regretter les questions-réponses d’Aloïs et son incroyable capacité à être une adulte humaniste dans la peau d’une ado. Les rires de Julia, son auto-dérision quand il est question d’orthographe, ses yeux verts pétillants d’intelligence (un pansement idéal pour les bleus de l’âme et du coeur). La bouille d’ange d’Alix, ses sourires infinis, sa façon de faire l’autruche quand il est gêné (hop, un visage enfoui, vous me verrez plus émerger aujourd’hui, faudra attendre le prochain cours). La tendresse d’Estella et sa façon d’interpréter les textes avec ses mots mais avec pertinence, ses entrées en grande pompe dans ma salle de classe… Les “bonjour, Madaaaaaaaame” d’Athénaïs. Les “au revoir, madame” de Pacôme (inlassablement, Pacôme m’aura saluée très poliment quand tant d’autres quittent la salle sans un regard ni un mot…). Les soupirs de Servane, (“pffff“) même ! La douceur, le sérieux de Clémence, et son grand regard qui ne vous lâche pas pendant 55 minutes. La vivacité et la joie de vivre et d’apprendre de Bassa. La furieuse envie de Mélissa de trouver son style (mais non, pas capillaire, quoique…) : spécialiste des phrases complexes et du vocabulaire recherché. L’immanquable bonne réponse de Gauthier, et ce ton nonchalant à la prononcer. Le sérieux quasi mystique de Saandia : ses yeux qui vous fixent, et le sourire immense quand elle est interrogée, comme un merci. Le sérieux feint de Pierre, ses progrès impressionnants, et sa serviabilité (combien de photocopies sera-t-il allé récupérer au rez-de-chaussée…). La persévérance d’Handréa, et sa douce voix, son sourire et sa finesse, ses enthousiasmes, aussi… La détermination de Binéta, dont je salue les efforts, le sérieux, la bonne humeur et la discrétion au passage… Et même, et même, parce qu’il n’aime pas le travail (et pas les fonctionnaires ;)), la volonté implacable de Selim, ses sourcils froncés (“Pourquoi je mettrais pas le passé simple là ? Pourquoi vous mettez l’imparfait, vous ?“) en point d’interrogation, et le sourire quand la réponse le satisfait… Enfin, le sarouel de Kamélia, sa coupe de cheveux improbable, ses piercings, ses tatouages et son air implorant : “Eh, M’dame, j’peux v’nir en cours avec vous ? J’ai espagnol.” Variante : “J’ai français”. Variante : “J’ai maths”… 😉 : je n’oublierai pas cette jeune fille attachante et décalée, de ce genre de fille que, comme la brune pétillante Estella, on adopterait le temps d’une année, et plus 😉

Quels collègues auront, l’an prochain, le bonheur d’accueillir dans leurs rangs ces chères têtes plus brunes que blondes ? Et la chance de récolter ce qu’on aura patiemment semé et vu germer (pendant deux, parfois trois ans) : le style…

Trève de nostalgie : nos zados ne sont plus, à partir de demain, nos zélèves. Ils s’en iront, comme leurs aînés, vers de nouveaux horizons. Vale !