C’est une semaine d’exception qui s’achève pour moi, 3 films, je ne sais même pas si j’en vois tant lors de la fête du cinéma. Il faut cependant reconnaître qu’il y avait ces derniers jours quelques éléments à ne pas rater, celui de ce soir ne fait pas exception. Une salle, 11 spectateurs, 10 femmes. Y aurait-il du sexisme dissimulé dans ce que je suis allé voir? Un film qui, inspiré, assez librement, d’une histoire vraie, évoque la vie d’une cuisinière de président de la République française, en lequel on devine François Mitterrand.
J’ai beaucoup de choses à dire encore à propos de ce film et, après m’être retenu pour les 2 premiers de cette semaine, je ne puis tenir et vais, à ma triste habitude, vous livrer, en vrac, l’expression de mes émotions, au sortir de la salle, comme on déguste un soufflé au sortir du four.
Étant habitué à trouver des liens, là où parfois même il n’en peut exister ailleurs que dans mon esprit ou ma mémoire, en voyant ce film, je me suis souvenu.
Je me suis souvenu du fait que dans le proche village d’Ingrandes, au début du siècle précédent, se retira une femme, qui, afin de subvenir à ses besoins, se louait dans les fermes et les maisons bourgeoises pour exercer ses talents de cuisinière, elle avait auparavant connu les fastes de Paris en étant cuisinière de Gustave Eiffel. Ayant retrouvé, quelques heures plus tôt, une odeur agréable, qui éclairait de souvenirs heureux cette triste journée, je me suis souvenu d’autres d’odeurs que j’aime, afin de clore cette semaine au cours de laquelle mes séances de cinéma furent autant de promenades sensorielles. Ce fut ainsi que défilèrent successivement en ma mémoire cette singulière odeur que tous les automnes de mon enfance faisaient revenir à mes narines, que je n’ai plus sentie que fort rarement depuis, toujours les larmes aux yeux, l’odeur des feuilles des marronniers, d’une longue allée qui en comptait 42, et que l’on brûlait alors. Je me suis souvenu d’autres films, salé-sucré, Julie-Julia, le festin de Babette, tous en rapport avec la cuisine, révélant à quel point c’est un art, une communion, un acte d’amour, capables de transformer, jusqu’à l’intime, les êtres. Je me suis souvenu de livres, de discussions sur des recettes, sur des auteurs et des hommes comme Brillat-Savarin ou Lucullus mais aussi ce cher Proust, je me suis souvenu de la passion de Louis XIV pour les petits-pois, je me suis souvenu de Marie de Médicis et de ses pâtés de langues d’oiseaux. Je me suis revu dans des cuisines et leurs fourneaux en fonte, leurs cuisinières à bois, leurs gazinières, avec des femmes que je ne cesse d’aimer en dépit de leur absence. Je me suis souvenu de tartes aux prunes, de pains d’épice, de confitures de tous fruits, de châtaignes chaudes que mes cousins et moi confectionnions et dégustions enfants. Je me suis souvenu, je me suis souvenu, je me suis souvenu…
Tant de choses se trouvaient donc enfouies en moi, j’étais donc si bien parvenu à oublier ce que j’ai toujours aimé et quelques images, de plats variés, quelques tirades d’un film clamant, par la bouche d’un Jean d’Ormesson que je trouvai moins brillant qu’à l’ordinaire, les vertus de la cuisine de nos grand-mères, suffirent à faire remonter, affleurer en ma mémoire, telles les bulles d’un bouillon généreux qui mijote au coin du feu, tous ces souvenirs.
Que ce film, servi par la délicieuse Catherine Frot, de laquelle je demeure définitivement amoureux, sa démarche, sa voix, son maintien sont une composition des plus savoureuse, que ce film, disais-je mérite d’être vu. Il n’est pas extraordinaire, il ne sera pas encensé par les thuriféraires de la critique, il est parfois convenu, il use parfois de ficelles presque grossières, de celles qui servent à lier les viandes, mais il fut pour moi une délicieuse madeleine, telle celle si chère à Proust et sur laquelle, depuis ce matin, à la demande de madame de la Vieille Rédaction, les zélèves se trouvent mieux informés.
Ce film fut un repas à lui tout seul, repas simple et sans surprise, comme ces rôtis ou gâteaux du dimanche, qui reviennent inlassablement sur la table, dont on croît parfois se lasser, car on en croit deviner le goût et la saveur à l’avance et qui sont au contraire ces points fixes et ces invariants dont nos vies agitées et futiles on si souvent besoin, car ils sont l’expression du Temps qui passe sans passer, de ce temps passé par une mère aimante qui sait prendre le temps de faire plaisir plus que de nourrir. Ce film est un repas, ce film sera le plat que vous souhaiterez, il sera salé ou sucré, vous l’accommoderez à votre goût, vous en reprendrez ou pas, mais il vous laissera la sensation d’un moment savoureux, quoi qu’il arrive.