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Classé dans (Le torchon brûle) par Agnès Dibot le 30-05-2011

Cet article, clin d’oeil sympathique à Kévin qui m’honorait ce matin d’un superbe tchip puis d’un fort vexant : “d’t façon, vous savez pas ce que ça veut dire !” Et comment, bien sûr que, si, je le sais ! Vous n’avez pas le monopole de la culture, chers zélèves ! Et il se trouve que l’Afrique, dans la famille, on connaît, un peu, et par diverses façons qu’il ne m’est pas donné ici de développer.

Et puis, sincèrement, enseigner dans ce collège depuis 15 ans, et animer des ateliers journaux, cela forme aux cultures diverses !

Méfiez-vous toujours des apparences : n’oublie pas, Kévin. Demande à Paco, mon grand élève de sixième3, ce qu’il advient de lui quand il tchipe après un reproche : il copie la définition du tchip. C’est un signe de protestation fort irrespectueux, qu’on n’aurait pas idée de faire devant un supérieur hiérarchique ! Or, nous sommes vos professeurs !

On ne tchipe pas devant un adulte, voyons ! Ou bien, il faut s’attendre à une réaction enflammée, ce fut le cas ce matin pour Kévin.

Allons plus loin, et, puisque ma culture personnelle ne semble pas convaincre Kévin, voici une source africaine :

Yaotcha d’Almeida, mi-togolaise, mi-guadeloupéenne, nous familiarise avec ce mode d’expression africain.

“En fait, il m’a fallu attendre l’adolescence pour réaliser que tout le monde ne « tchipait » pas. Depuis ma plus tendre enfance, j’entends mon entourage « tchiper ». Bon, il faut dire que mon père est togolais, ma mère guadeloupéenne et que, dans l’une comme dans l’autre culture, tout le monde « tchipe ».

 

Laissez-moi vous expliquer ce qu’est le « tchip » : le « tchip » est une production buccale sonore typiquement afro. En effet, elle est partagée par la majorité des cultures noires qu’elles soient africaines, caribéennes ou noires américaines. D’ailleurs les noirs américains disent : « to suck your teeth », ce qui signifie littéralement : « sucer ses dents ».

Et justement le « tchip » est produit par un mouvement de succion des lèvres contre les dents parallèlement à un mouvement opposé de la langue. Comme ça : « tchip ». En somme, toute la bouche participe au « tchip » quand ce n’est pas l’ensemble du visage ! Car un bon « tchip » ne saurait se faire sans l’expression adéquate qui se doit de l’accompagner.

Il y a plusieurs types de « tchip » et un cortège de règles à suivre si l’on ne souhaite pas se retrouver dans une situation délicate liée au « tchipage ». La première fonction du « tchip » est de marquer la désapprobation et l’agacement. Et ne « tchipe » pas qui veut quand il veut ; le « tchip » répond à des codes bien précis qui suivent la voie hiérarchique. En effet, on peut se « tchiper » entre pairs ou « tchiper » un subordonné ; mais il ne me viendra jamais à l’idée de « tchiper » un aîné ou mon employeur par exemple ! Si quelqu’un « tchipe » au cours d’une conversation sans s’adresser à une personne en particulier, il s’agit alors d’une sorte de commentaire réprobateur.

Autre « tchip », le « tchip » maternel. Je me souviens clairement de ces « tchips » qui accompagnaient le regard « recadrant » de ma caribéenne de mère lorsque je disais ou faisais une bêtise.
C’est le même « tchip » que me servaient ma grand-mère et mes tantes. Ce « tchip »- là est plutôt féminin même si les hommes le pratiquent également. Ensuite, il faut savoir que le « tchip » se décline : ça va du « tchip » court et sec qui équivaut à un : « Tu dis des bêtises » ou « arrête un peu » à un « tchip » long et méprisant carrément assassin. Bien sûr, les expressions du visage qui accompagnent le « tchip » en renforcent la portée, même si l’expression boudeuse voire méprisante de la bouche à ce moment est en soi assez éloquente.

Il y a le « super-tchip », celui qui se finit par un claquement de la langue à l’arrière du palais et qui vous fait comprendre qu’il est inutile de dire un mot de plus. Ce « super-tchip »- là est typiquement africain, les Antillais ne l’utilisent pas. Ce « super-tchip » est parfois un peu surréaliste. Un jour, dans le métro, j’ai été gratifiée d’un « super-tchip » par une maman africaine, à qui apparemment ma tête a déplu. Entourée de sa progéniture, elle m’a regardée des pieds à la tête puis m’a ouvertement « tchipée » sans aucune raison apparente. Je n’ai jamais su ce qui avait motivé ce « tchipage ».”

Alors, tchipeurs, arrêtez de tchiper !